Mission impossible | Delta

C’est très récemment que cette sensation inconnue s’était glissée dans le champ des perceptions magiques de Delta. Si elle ne brisait pourtant pas des records au niveau de sa capacité à détecter et à distinguer les manifestations du genre, cette énergie absolument différente de ce qu’elle avait l’habitude de sentir avait fortement attiré son attention, d’autant plus qu’aucun des sorciers qu’elle avait interrogés n’avait été en mesure de confirmer cette troublante observation. Il avait fallu quelques heures à Delta pour perdre de vue la source mystérieuse, jusqu’à ne plus du tout être en mesure de la localiser ; mais, ne pouvant se résoudre à la considérer comme une banale anomalie ou une erreur, la sorcière avait essayé de guetter sa présence durant les jours suivants — sans succès — avant de décider d’en faire part à sa supérieure. C’est en voletant vers le bureau d’Amaryllis qu’un domestique faillit lui rentrer dedans, portant un parchemin qui lui était destiné ; elle était justement convoquée chez la chef des sorciers le lendemain. Soit, elle en profiterait pour faire confirmer cette curieuse impression…

***

Le visage neutre, les bras croisés, la tête droite tandis qu’elle écoutait les ordres, Delta enregistrait toutes les informations qu’on voulait bien lui donner. En entrant dans la salle où elle avait été mandée, la demi-fée avait eu l’agréable (?) surprise de constater qu’elle n’était guère la seule conviée à cette réunion ; Bahal ainsi qu’un chevalier qu’elle connaissait vaguement de visage (et plutôt… distrait ?) se trouvaient également sur les lieux. Tiens donc, une mission en duo ? Ça faisait longtemps, et c’était d’ordinaire des expéditions d’assez longue durée… En règle générale, Delta n’aimait pas spécialement les collaborations avec ses collègues de l’autre ordre, mais rien qui puisse empêcher le bon déroulement de ses missions — et Parandar savait qu'elle tenait à son ratio d'efficacité. Les chevaliers présentaient d’ailleurs l’avantage, contrairement à des individus moins qualifiés, de ne pas obliger Delta à surveiller leur survie en permanence ; une autonomie appréciable tant qu’elle ne basculait pas dans la prise de décisions sans concertation. A moins que l'adoubé ici présent soit l'exception qui confirme la règle.

Elle nota rapidement que son premier instinct avait été le bon : Jahël — on venait à l’instant de l’interpeler — n’était pas quelqu’un de particulièrement attentif. En fait, beaucoup de choses dans son comportement étaient suspectes, et il n’y avait pas besoin d’être un devin pour comprendre que quelque chose de pas bien clair se passait devant ces yeux perdus à l’extérieur. Sans trop s’y attarder pour le moment, la sorcière eut la vague impression d’avoir à côté d’elle une sorte de gamin grandi trop vite — gamin peu ordinaire, avec ses cheveux sans couleur et son regard ambré. Ce n'était pas non plus insurmontable : les ordres faisaient plus ou moins la compétition à qui aurait le plus grand nombre de spécimens originaux… dont le jeune homme semblait faire partie.

—…une énergie magique étrange est apparue sur le continent…

Delta hocha lentement la tête, satisfaite d’avoir trouvé sans même chercher une réponse — partielle — à ses interrogations. Alors ce n’était pas une défaillance de sa propre perception, mais bel et bien quelque chose de tangible et de réel. Voire même de potentiellement dangereux.
L’intérêt de la sorcière s'étant brusquement éveillé, un air plus sérieux encore s’afficha sur son visage. Ils partaient en éclaireurs améliorés, en quelque sorte. Le tout dans l’ambiance de secret défense qui convenait à ce genre de mission. Décidément, le destin avait sorti le grand jeu.

— Ok pourquoi pas. Mon écuyer sera de la partie ?

Est-ce qu’on apprenait aux chevaliers à se montrer aussi désinvoltes, frisant l’insolence ? C’était quand même quelque chose de chronique chez certains d’entre eux… enfin, la jeunesse du combattant pouvait peut-être excuser cela, encore que Delta n’était pas très à cheval sur les protocoles qu’elle jugeait inutiles. Et puis, avec la réputation de perfides, sadiques, ou indignes de confiance que se trainaient les sorciers à cause de quelques éléments « spéciaux »… Elle pouvait parler.

— Je suis à votre disposition, répondit sobrement Delta à Amaryllis.

Lorsque les dernières informations furent données et soigneusement enregistrées, Delta resta quelques minutes de plus en la compagnie d’Amaryllis afin de confirmer qu’ils parlaient bien de la même énergie.

— …mmh… oui, c’est cela, exactement. Non, je l’ai perdue maintenant... […]

***

Achevant de fixer les quelques sacs de vivres sur le cheval qui lui servirait de moyen de déplacement pendant la durée de la mission, la maître-magicienne avait quasiment finalisé son ouvrage lorsque son binôme se mit brusquement à parler, du même ton désinvolte qu’il avait employé face à la chef des sorciers il y a quelques heures de cela. Surprise mais pas désarçonnée, Delta le dévisagea quelques instants avant d’esquisser une réponse, prenant cet élan de sociabilité du chevalier comme une manière de faire connaissance. Elle ne daigna évidemment pas répondre à la question sur ses cheveux — posée par un individu d’une vingtaine d’année qui avait les attributs capillaires d’un sorcier d'âge vénérable… Quand à son âge, voilà une information qui influerait fort peu sur le déroulement de la mission...

— J’ai senti cette énergie, mais trop légèrement pour me douter de quelque chose. Ma perception magique ne tient pas des distances aussi grandes pour le moment. Mes pouvoirs sont liés au corps des personnes que je touche. Et non, je n’ai pas d’apprenti. Si tu veux des ailes de fée, il doit bien y avoir une traitresse en vie quelque part dans les sous-sols, mais les miennes me font indispensables, fit-elle flegmatiquement.

Plus flou encore, comme description de pouvoirs, était-ce possible ? Mais Delta doutait que qui que ce soit se régale de descriptions détaillées sur comment elle se débrouillait pour provoquer une mort plus ou moins furtive chez ses victimes — allant de l’arrêt cardiaque pur et simple à des techniques plus sophistiquées. Quant à sa capacité d’illusion, Jahël ne gagnerait rien à en prendre connaissance, puisqu’il était peu probable qu’elle l’utilise sur lui. Non, vraiment, pour le moment, elle ne voyait pas l’utilité de s’étaler là-dessus.

Amaryllis les escorta jusqu'à un certain point avant de leur faire ses adieux (quoiqu'ils avaient plutôt intérêt à revenir, cela allait de soi). Ils galopaient alors en direction du Pic.
Ne jugeant pas plus intéressant de répondre à la question sur son royaume natal, ni de divaguer sur un potentiel mal du pays (après tout, Jahël devait savoir que partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale l’Empire, et que le lieu n’avait guère d’importance (enfin. Sauf Fées. Elle n’irait pas à Fées de son plein gré. Dommage de faire partie d’une race dont les attributs étaient aussi évidents...)), Delta sélectionna les interrogations qui lui paraissaient dignes d’intérêt ou qui semblaient particulièrement intriguer le chevalier. Elle, elle était parfaitement capable de passer des semaines sans parler, à part le minimum d’informations et de directives ; mais puisque le jeune homme semblait particulièrement enclin à la conversation et qu’ils allaient passer un certain temps ensemble, autant épancher sa soif de curiosité tout de suite. Delta n’imaginait pas que l’énergie du jeune homme était un état permanent.

— Je ne suis pas une fée à part entière, alors perpétuer leur race n’est pas un de mes objectifs et je doute qu’un enfant hybride comme moi satisfasse cette… lignée pure. Fonder une famille ou se reproduire est quelque chose de secondaire, surtout lorsqu’on a choisi de vouer sa vie à l’Empire, lâcha Delta comme s’il se fût agi d’une question banale.

Delta, procréer ? C’était quand même écrit sur son visage que si elle prenait cette décision, ce serait probablement pour permettre à l’Empire de bénéficier du potentiel d’un enfant de maître-magicien, et non pas pour concrétiser une romance… enfin, bon, puisqu’on s’inquiétait pour elle ! (Bon sang, Jahël était tombé sur un moine...)
Quoiqu’elle se doutait que quelque chose clochait chez le chevalier, elle n’avait que de vagues bribes de rumeurs en tête sur le personnage. Prenant ses paroles comme une tentative maladroite d’interagir avec elle ou de la déstabiliser... de même pour le végétarisme et la poudre hallucinogène. Lorsque Delta élidait une question, elle n’y revenait pas, quitte à faire l’oreille sourde jusqu'à ce que son interlocuteur comprenne l’inutilité de sa démarche. Une méthode qui pour le moment, portait ses fruits.
Entretemps, ils s’étaient mis en route, et quelque chose lui disait que le trajet passerait plus vite que prévu.

— Vous avez l’air de très bonne humeur. Cette mission vous enchante-t-elle particulièrement ? Ajouta Delta (qui tentait pourtant très rarement l'ironie, si bien que la sarcasme était difficile à discerner de la sincérité chez elle), à moitié sans attendre de réponse, juste pour essayer de cerner l’étrange personnage qui cavalait à ses côtés.

Mission impossible Si ce n'est pas faisable, faites appel à Monsieur et Madame Impossible. - An 1570 MOIS 2 -

 

Jahël boudait. Un peu. Beaucoup. Passionnément. Lorsque Jahël boudait, c’était tout un art. Joues légèrement gonflées, regard fuyant, petite moue enfantine avec ses lèvres, se tenant légèrement avachi sur son cheval, avec, quelque fois, un grognement de mécontentement. La question à 10 000 pièces d’or était : pourquoi boudait-il ? C’était pourtant évident ! Même un détective médiocre pouvait deviner pourquoi il était mécontent. Pourquoi il boudait. Cela crevait les yeux comme des pieux en fer forgé qui a été chauffé à blanc pendant plusieurs heures tenus par un bourreau avec des super-moufles anti-chaleur de l’extrême. Autrement dit, ça fait mal et c’est efficace. Euh, non : autrement dit, c’était évident. Mais, d’abord, revenons un peu en arrière.

Delta et notre Chevalier au grand cœur de pierre se préparaient pour la grande aventure armés d’un sac magique avec une carte qui parle. Bon, j’arrête les conneries : ils se préparaient pour la grande aventure-d’observation-absolument-génial armés d’un sac tout à fait normal avec des choses tout à fait normales qui ne parlaient pas à l’intérieur. D’ailleurs, heureusement, sinon on aurait pu croire qu’ils étaient partis faire une excursion chez les fées et leur super-poudre magique. (Veuillez excuser l’auteur qui écrit ses lignes et qui a réussi à écrire cette parenthèse dans un élan de lucidité, il se fait tard, l’auteur est fatiguée et a tendance à divaguer. (vaguer)).
Trêves de mondanité.
Jahël, dans son habituel attitude de curiosité de l’extrême un peu beaucoup bizarre qui ne donne absolument pas envie de répondre, posait des questions à Delta-Blue. Des questions totalement inutiles pour la plupart avec, ici et là, des petites choses un peu plus adultes. A la fin de cette échange, de cette mission, si Blue n’avait pas décidé de devenir sourde et incontinente, elle devra recevoir la médaille du mérite et sur sa futur tombe devra être marqué « Sorcière méritante capable de supporter la chose la plus infâme qui soit : un Jahël. » Oui, on peut aussi dire la même chose de l’ancien maître du faux vieillard.
En tout cas, chose tout à fait étonnant, Blue ne répondit pas à toutes les questions de Jahël. Est-ce car elle est idiote et ne comprend que la moitié de ce qu’on lui disait ? Jahël devait-il réexpliquer la mission à la jeune femme, avec graphiques, schémas et maquettes à l’appui ? Savait-elle ne serait-ce que réfléchir et penser ? Ho, intéressante question : était-il possible d’arrêter de penser ? Certainement pas Jahël, ce n’était même pas sûr qu’il arrête de penser dans la mort. Mais peut-être existe-t-il des personnes qui le peuvent, comme, par exemple, Blue, qui ne semblait pas si intelligente que cela ! Eredin au moins, répondait à chacune des questions de Jahël. On devrait rajouter sur la tombe de Blue : « Ne sait pas répondre aux questions ». Jahël mit cela dans sa liste « à faire ».
Donc, pour résumer : les réponses de Blue n’ont pas satisfait la curiosité insatiable du Chevalier. Cependant, il ne put réitérer ses questions puisqu’ils furent interrompus par Amaryllis, qui, d’ailleurs, manquait de manière de venir les interrompre au beau milieu d’une superbe interaction sociale – ceci est extrêmement ironique dit par Jahël, mais passons. Sauf que du coup, cette intervention puis la cavalcade suivante firent perdre à Jahël les questions non répondues et les nouvelles qui se sont créées à la suite des paroles de Blue – mais pas pour très longtemps je te rassure (ou pas) cher lecteur. A la place, Jahël préféra poser d’autres questions, toujours avec autant de tact et de justesse, toujours en étant poli et en y mettant les formes. Oui, c’était parfaitement ironique. Et là encore, Blue ne répondit pas à toutes les questions de Jahël. Ce qui le perturba autant que le frustra, car, pour lui, les réponses à ces questions étaient capitales. Tellement capitales qu’il en mettrait ses mains à couper ! Enfin… presque. Il y tenait à ses mains quand même. Elles étaient fines et douces comme celles d’une femme, ce qui était plutôt agréable lorsqu’il se… grattait le dos. Ha, tu as pensé à autre chose hein pervers !

« Vous avez l’air de très bonne humeur. Cette mission vous enchante-t-elle particulièrement ? »
« Hm. »

LA ! C’est là que Jahël commença à bouder ! Alors, Sherlock, tu as deviné pourquoi ? Car Blue ne répondait pas à ses questions ? Car elle était sarcastique et ironique ? Car elle n’était pas d’une compagnie plaisante ? Mais c’est quoi toutes ces réponses ! Bien sûr que non !
La réponse est, bien évidemment, car Jahël avait mal au cul à force de galoper avec son cheval. Il faut savoir que Jahël n’aimait pas faire du cheval. Il avait un derrière sensible, comme tout le reste de sa peau d’ailleurs c’est bien pour ça qu’il portait souvent une cape blanche large pour protéger son corps et sa tête à l’aide d’une capuche. Donc il avait très rapidement mal à son royal fessier lors de courses, et le souci, c’est que ce n’était pas fini. Il y allait avoir plusieurs jours de route à dos de cheval. Alors Jahël tentait de prendre son mal en patience, mais à cause de cela, il ne pouvait s’empêcher de passer tout son temps à se concentrer. Il réussit d’ailleurs à ne rien dire et à supporter la douleur encore pendant quelques heures. On pouvait voir au fur et à mesure sur son visage que cela devenait de moins en moins supportable, jusqu’à ce que finalement…

« Ca suffit ! » explosa-t-il en faisant ralentir sa monture, Blue faisant de même. « On fait une pause ! On mange, on boit de l’eau… On fait une pause ! »

Il ralentit sa monture au fur et à mesure jusqu’à l’arrêt complet. Là, il s’arracha à la scelle – il crut bien que son postérieur était resté dessus tellement il ne le sentait plus – avant d’attacher son cheval contre un arbre d’un petit bosquet. Puis, il sortit une gourde, des biscuits… et une lotion. Avant de se tourner vers la Sorcière, le visage penaud.

« Je sais que ça doit être difficile, » commença-t-il d’un ton neutre. « De pas avoir assez d’intelligence pour répondre à toutes mes questions, ou pour se souvenir de toutes mes questions… tu as l’air aussi d’avoir du mal à décrire tes pouvoirs, j’ai du mal à te cerner. Mais, en tout cas, je te soutiens, ça doit être dur, et… tu peux mettre de la lotion sur mes fesses ? » Grand sourire parfaitement innocent et niais, s’attendant vraisemblablement à un « oui bien sûr avec grand plaisir » de la part de Blue. « Je suis très content de partir en mission, pour répondre à ta question, car je n’ai pas mon écuyer avec moi. Liberté ! Et possible baston ! Donc la mort ! Moi avec de beaux enchainements d’épées et de dagues Jahël utilisa la lotion qu’il avait dans la main comme une baguette-épée pour faire des petits mouvements censés être sensationnels et toi lançant ta magie comme ça – fiou fiou… » Cette fois-ci, pour faire comme s’il sortait de la magie de sa main, Jahël comprima la lotion dans sa main, créant un geyser blanc et onctueux… droit sur le visage de Blue. « Oops. Désolé. Oh ! Faut pas gâcher ! Utilisons la pommade de sorti sur mes fesses ! »

 

 

CODAGE PAR AMATIS

Hors RP:

Difficile d’imaginer que Delta était ravie de prendre une pause après si peu de temps de trajet. Même elle, qui était une fée au physique guère adapté à l’équitation, pouvait supporter sans broncher quelques heures de voyage incommodant. Supposant qu’il devait y avoir une gêne réelle pour que Jahël réclame si abruptement un arrêt, elle laissa couler cette demande impromptue. Décidément, ils n'allaient pas faire trois lieues sans s'interrompre, à ce rythme.
Ils s’arrêtèrent, au beau milieu de la route — elle détestait l’idée d’un arrêt improvisé, mais alors de cette manière, c’était pire…
La sorcière descendit de sa monture pour se dégourdir les jambes, prête à interroger le chevalier sur le motif assez grave pour qu’elle ait daigné lui accorder quelques minutes de leur précieux temps de mission. Mais c’était sans compter l’énervement du jeune homme et les paroles sans queue ni tête qui commencèrent à jaser de sa figure pincée, avant même que Delta ait le temps de souffler.
S’il y a une chose à laquelle la sorcière ne s’attendait pas de la part de son partenaire, c’était à ce déferlement de mots absurdes. Soyons clairs : Delta n’était pas quelqu’un qui parlait de la pluie et du beau temps. Delta ne parlait pas tout court. Cela ne faisait pas partie de ses compétences. Tout ce que Jahël pouvait bien dire à ce moment précis n’avait aucun sens pour elle, parce qu’à ce stade, Jahël ne devrait rien lui dire d’autre que la raison pour laquelle il venait de les faire s’arrêter en pleine rase campagne Tanieth. Et elle ne trouvait pas ces raisons. Rien qu’un charabia incompréhensible que son cerveau ne parvenait à interpréter d’aucune manière cohérente. Réponse à mes questions... lotion... pas assez d'intelligence... Aucune information. A partir de là, Delta n'enregistrait pas, elle filtrait, supprimait, oubliait.
Mais qu’est-ce qu’il avait dans la main ?

Avant de réfléchir plus longuement à cette question existentielle, Delta parvint par réflexe à positionner sa main sur son visage pour minimiser les dégâts du jet, qui n’atteint que partiellement son front, dégoulinant surtout sur ses doigts. De la… lotion ? C’était acté. Elle était tombée sur un véritable détraqué. Et on osait essayer de lui faire croire que cet énergumène était un chevalier compétent ? Une pièce du puzzle manquait, soit chez Bahal, soit chez le gamin… ça plus le craquage nerveux qu’il lui servait sur un plateau, Delta commençait le plus sérieusement du monde la possibilité que Jahël se soit tout simplement empoisonné ou alcoolisé avant de partir. Elle savait ce que c’était qu’un malade mental, un homme qui délire ou un fou. Mais le chevalier n’était censé entrer dans aucune de ces catégories. Son rôle ? La fermer, si ce n’était pour communiquer à titre purement informatif et nécessaire. Le gamin était-il si jeune que cela ? Elle n’avait de toute façon pas à lui enseigner quoi que ce soit. Sérieusement, est-ce qu'Amaryllis aurait pu vérifier le profil du chevalier avant de l'envoyer sur une mission secrète qui s'annonçait plutôt périlleuse ?

Ils allaient régler ça avant de repartir. Une légère mise au point s’imposait. Parce que si Jahël considérait son existence, ses actes et sa présence ici comme une vaste blague, grand bien lui fasse… mais Delta était on ne peut plus rigide dès lors que cela touchait au déroulement d’une mission. Jahël se montrait indiscipliné et incapable de se comporter correctement ? Ça n’était pas à Delta de chercher à le satisfaire, ou de trouver la cause de son dérangement, ou même de se retourner pour vérifier si le chevalier suivait bien. Elle constatait simplement. Et si son observation n’était pas conforme à ce qu’elle attendait, alors il n’y avait aucune raison que Jahël soit affilié à cette mission. Une logique froide, mécanique. Quant à la provocation (était-elle seulement volontaire ?), Delta l’interprétait tout simplement comme une forme de démence passagère (et à vrai dire, heureusement que Delta était psychologiquement incapable de comprendre le mécanisme de la provocation…). Cela faisait partie des comportements auxquels elle ne réagissait pas, tout simplement parce qu’elle n’y trouvait aucune explication rationnelle.
D’un geste vif, la sorcière attrapa ce qu’elle pouvait pour débarrasser sa main de cette substance désagréable. Elle réfléchissait, les sourcils légèrement froncés, à ce qu’elle allait formuler afin de mettre les choses au clair. C'était presque comique, tant le premier degré de Delta prenait le dessus sur le reste. La situation étant inédite, les mots venaient plus lentement dans son esprit, elle devait les assembler… Elle n’aimait franchement pas cette situation, mais tout pouvait s'arranger. Il n'y avait de toute façon pas d'autre possibilité.

— L’Empire n’a absolument pas besoin d’un individu dans ton état dans la ‘baston’, Chevalier Jahël.

Comment ça, elle était déprimante de nonchalance et de calme ? Ah, ça, si Jahël voulait l’énerver, il lui faudrait trouver autre chose, plus subtil peut-être, parce que le coup de la pommade inquiétait Delta plus qu’il ne l’énervait…
"L'Empire" par-ci, l'"Empire" par-là... Prévisible de la part de la sorcière.

— Tout ce qui n’a pas de rapport direct avec notre raison d’être ici ne m’intéresse pas. Je ne suis pas ici pour faire la conversation. Si tu as des observations intéressantes, j’y répondrai. J’ai accepté une pause parce que tu avais l’air inapte à continuer le voyage. Règle tes affaires de « pommade » rapidement.

L’air de rien, Delta s’avança pour jeter le chiffon usé auprès du reste des bagages — mais ce rapprochement anodin en était évidemment un autre, et elle en profita pour toucher l’épaule de Jahël, de deux doigts seulement activant son pouvoir juste assez rapidement pour qu’il soit incapable de réagir. Tout à coup, le chevalier dut se rendre compte que son corps ne répondait pas, qu’il était figé dans sa position actuelle, que le message envoyé par les doigts de la magicienne maintenait ses muscles contractés d’une manière assez handicapante, mais pas douloureuse. S’il essayait de se dégager, cela lui causerait plus de souffrance que s’il restait statique, alors mieux valait se fier à son instinct, et ne pas bouger. Cet acte n'amusait pas spécialement la sorcière, mais puisqu'il semblait faire une fixette sur ses pouvoirs...

— Navrée, mais la plupart des sorciers que tu rencontreras en mission ne s’amuseront pas à te faire la démonstration de leurs pouvoirs afin de satisfaire ta… curiosité. Tu es censé compter sur leur compétence. Pour ne pas qu’on perde plus de temps ici, je t’assure (Jahël était toujours privé de sa motricité) que je suis apte à mettre un ennemi hors d’état de nuire. Comme souvent dans les duos chevalier-sorcier, je serai aussi probablement amenée à te guérir magiquement.

La tranquillité de la sorcière et la lenteur de ses paroles confortaient dans l’idée qu’elle n’avait pas grand-chose à faire des tendances maniaques ou impulsives du jeune homme.
Pour des raisons évidentes, elle n’allait pas non plus s’amuser à étaler son inventaire de capacités pour les beaux yeux du chevalier. Elle doutait que tester les lésions létales qu’elle était capable de provoquer par simple contact physique était une bonne idée. Oh, à l’inverse, elle pouvait aussi manipuler positivement son corps ; mais ça n’avait aucun intérêt dans le cadre de la mission. Tout ce que Jahël avait à savoir, c’était que Delta pouvait se débarrasser d’à peu près n’importe qui si elle était couverte, et qu’il ne craignait rien pour sa santé. S’il y avait besoin de développer, cela se ferait dans le cœur de l’action, au fil des nécessités. Inutile d’insister, elle ne fournirait pas plus d’informations. Chaque mot lui coutait.
Elle lâcha tout à fait son emprise sur le chevalier. Absolument pas moralisatrice, elle avait énoncé ces faits dans un langage pédagogique et neutre. Mais il paraissait soudain net que son ton s’était fait moins conciliant, plus militaire. Elle était d’ailleurs repassée au vouvoiement professionnel.

— Si vous vous sentez incapable de poursuivre cette mission dans un état de stabilité, je vais devoir vous faire rayer de l’expédition, et cela entrainerait un retard inconvenant dans cette quête. Revenir dans votre rôle de chevalier serait plus enviable. Nous reprenons la route.

Delta s'apprêtait à remonter sur son cheval, une fois que tout serait en ordre. Et Jahël avait intérêt à faire de même, parce que derrière son air calme, Delta n’avait aucun scrupule à mettre sa « menace » à exécution. Si seulement elle savait à quel point le jeune homme n'était pas normal...
Dans les faits, ce serait plus compliqué que cela de justifier la disparition de Jahël de l’ordre de mission. Mais s’il ne mettait pas immédiatement le pied à l’étrier, ça commencerait à entrer dans la catégorie « désobéissance et nuisance au déroulement de la mission ». Espérons que la perspective de se voir retirer sa participation à la bagarre calmerait le marmot assez longtemps pour qu’ils atteignent une distance au-delà de laquelle Delta serait obligée de composer plus diplomatiquement — ou pas — avec ses manies… si c'était la première expédition en binôme de Jahël, le voyage allait être très, très long... et Delta aurait beaucoup de mal à se concentrer sur cette foutue énergie étrange qui, pour le coup, était passée au second plan.

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Les choses dégénéraient plus que de raisons entre les deux « coéquipiers ». Enfin, il y avait clairement de quoi s’énerver quand on fréquentait quelqu’un comme Jahël, mais il faut dire très clairement que la jeune femme ne semblait pas si patiente que cela. Sa façade de dure à cuir froide et incalculable n’était, comme son nom l’indique, qu’une façade. Oh ce n’est pas qu’elle était énervée, mais elle perdait tout de même un peu son sang froid à répondre aux provocations du Chevalier, ce malgré son ton. Et lui dans tout ça… ouais, il y trouvait une petite satisfaction de la voir parler autant, même si c’était pour l’insulter. A dire vrai, il était un peu compliqué d’énerver Jahël en l’insultant ou en remettant en cause ses capacités pour la mission ou l’Empire, car il savait très bien ce dont il était capable donc n’en était pas offusqué. Il était plutôt commun que les autres se trompent sur ses capacités, et il n’aimait guère devoir faire étalage de ceux-ci pour prouver le contraire. Il estimait qu’une personne qui se sentait obligé de prouver le contraire aux gens, c’est que cette personne doutait de ses capacités elle-même.
Clairement, Delta n’était pas une personne avec qui converser, puisqu’elle n’avait pas de conversations. C’était mission, Empire, manger et dodo dans sa tête. Quoique, Jahël avait un doute sur le fait qu’elle dorme. Si ça se trouve, elle n’était pas vraiment fée, c’était une nouvelle espèce d’être vivant qui n’avait pas besoin de dormir et qui obéissait à des instances supérieures sans se poser de questions ni se rebeller ! Cette idée amusa Jahël, et il dut se faire violence pour que le petit sourire qui était apparu sur ses lèvres ne se transforme en rire. Ce ne fut guère difficile d’ailleurs puisque lorsque la sorcière le toucha, il sentit sa magie faire effet sur son corps et son entrain se changea en rage sourde. Il l’écoutait d’une oreille distraite tandis que ses yeux lançaient des éclairs. Il rongeait son frein, se réfrénait le plus possible pour éviter de la tuer – l’on pourrait dire que l’expression « il a un regard qui tue » était plus que littéral – et attendit patiemment qu’elle lâche son emprise. Ce fut long dans l’esprit de Jahël. Il s’imagina mille et une façons de tuer la jeune femme, ce qui le calmait un peu dans un sens, mais dans l’autre ça aiguisait ses envies psychopathes.

Elle lâcha finalement prise. Le visage de Jahël n’exprimait rien d’autres désormais qu’une froide expression qui n’annonçait rien de bon. Il était clair que Delta ne connaissait pas le Chevalier, sinon elle aurait su que lorsque Jahël devenait sérieux, ce n’était jamais bon signe. Elle lui tourna le dos pour revenir à sa monture… et Jahël usa de son pouvoir pour lui déboiter les deux genoux. Oh rien de bien méchant – il avait longuement songé à ce qu’il allait faire – c’était juste douloureux et handicapant. C’était aussi très facile de les remettre en place sans qu’il n’y ait de séquelles autres qu’une douleur pendant quelques minutes. Oui, il avait quand même en tête qu’ils étaient en mission et qu’il avait possiblement besoin d’elle. Elle tomba donc à terre. Jahël fit en sorte de toujours rester à bonne distance d’elle au cas où elle use de ses ailes pour se rapprocher de lui, avant de commencer à parler.

« Tu peux immobiliser ton ennemi au toucher, je peux démembrer une personne par mon esprit. » Son ton était tout aussi calme que celui de Delta précédemment, et son visage n’exprimait rien de plus. « J’ai besoin de savoir tes capacités tout comme tu as besoin de connaître les miennes, pas par simple « curiosité », mais aussi pour que l’on puisse établir la meilleure stratégie en cas de problèmes sur le terrain en fonction de nos différentes capacités. Tu vois la conversation comme quelque chose d’inutile et d’ennuyeux, mais une personne avec un tant soit peu d’intelligence saurait qu’il vaudrait mieux connaître son partenaire un minimum lors d’une mission, là encore pour savoir faire preuve de stratégie. Tu ne cesses de dire que je suis, hm, incapable, car tu ne vois que le bout de ton nez et ne sait faire preuve d’observation et d’intelligence. C’est plutôt à moi de m’interroger sur tes capacités. » Petit sourire froid. « Aussi, je ne te demandais pas de faire l’étalage de tes capacités sur moi-même, mais simplement de savoir les expliquer verbalement. Si ça tu ne sais pas le faire, alors tu es vraiment une mauvaise sorcière. Tu as usé de ton pouvoir sur moi, ce n’est que juste retour des choses que j’en fasse de même. Si tu en tiens rancune, c’est que tu es également incapable d’évoluer. Si c’est là ton développement mental maximal, alors tu n’as plus rien à faire dans l’ordre. Je finirais en disant que tu n’es pas le chef de cette expédition et que tu n’as pas l’autorité ni les pouvoirs nécessaires pour me rayer de cette mission. »

Puis, la terre se mise à trembler. Les chevaux s’agitèrent, hennissant et se cabrant pour tenter de se défaire de leurs attaches. Puis, très vite, Jahël aperçut dans le bosquet… une armée d’animaux divers qui couraient au galop. Directement dans leur direction. Il ne savait pas si Delta les avait vu également, mais il ne réfléchir pas d’avantage avant de se saisir du corps de Delta pour la jeter le plus haut dans les airs afin qu’elle soit hors de portée de la horde avec ses ailes, et sauta sur le dos d’un cheval. Il coupa d’un coup les rennes des deux canassons, se saisit rapidement de ceux du deuxième avant de se cramponner à son cheval et de le lancer perpendiculairement à la direction de la horde de bestiaux. Les deux chevaux étaient fortement incontrôlables, mais le danger aidant ils se mirent finalement à courir dans la bonne direction.
Une fois hors de la ligne de mire des animaux, Jahël tenta d’arrêter les chevaux en vain. Il décida donc de couper les sangles des sacs avant de sauter de son cheval en pleine course, faisant des roulés boulés douloureux, espérant que peut-être Delta savait comment calmer les chevaux et sinon, au moins, ils avaient leur provision. Au pire des cas, Jahël savait coudre.
Observant les animaux qui fuyaient au pas de courses, il se rendit compte avec appréhension que la direction qu’il fuyait était leur destination à eux.
 

 

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