Grotte qui peut ! | Gianny

L'atmosphère de "La Soif Ardente" était des plus inquiétante. Ce boui-boui de la cité des Trois Soleils, au royaume de Fal, refermait en son sein tout un armada de personnages peu recommandables : Chasseurs de prime, voleurs, tueurs. Leur rictus découvrait de fausses dents en or, leurs mains baladeuses se promenaient sur le postérieur des jouvenceaux et jouvencelles qui passaient à leur portée, chacun d'entre eux y trouvant son bonheur suivant leur attirance. Leurs chants paillards résonnaient dans la pièce avec la puissance d'un tocsin. En bref, un véritable décor que l'on trouve dans les livres d'aventure.
Dans un recoin de l'auberge, un jeune homme était assis à une table. On aurait pu lui donner une vingtaine d'années si l'on ne reconnaissait pas ses cheveux blancs comme neige, sa peau dorée par le soleil de Zénor et surtout, ses yeux rouges comme le sang.
Gianny but une gorgée. Il n'était âgé que d'une quinzaine d'années et pourtant, on lui en aurait donné cinq de plus. La faute à son sang de démon qui lui donnait des allures de colosse. Seules ses oreilles pointues trahissaient ses origines féériques.
L'écuyer de Jahël reposa sa chope sur la table. Il était ici en mission pour le compte de l'Ordre d'Irianeth. Pour la première fois en solo depuis le début de sa formation. Lorsque son maître lui avait annoncé qu'il partirait seul, un sourire excité s'était dessiné sur les lèvres de Gianny. Depuis le temps qu'il attendait ça. Aucune crainte n'avait émergé dans son esprit. Il était sûr de ses capacités. Et avait hâte d'en découdre. Peu importait les rumeurs inquiétantes qu'il entendait à propos de l'objet de sa mission.

Le bruit d'un tabouret que l'on tirait vers soi sortit l'adolescent de ses pensées. A deux tables de la sienne, un homme s'installa. Gianny le reconnut immédiatement. Il se leva, s'approcha de l'homme et s'installa en face de lui.

- Arvids ? Demanda-t-il

Le dénommé Arvids hocha la tête.

- Et vous z'êtes...
- Lui-même, le coupa Gianny

Il n'avait pas de temps à perdre. Voilà deux semaines qu'il était à Fal, fouinant partout pour tenter de découvrir l'emplacement de cette fameuse grotte. Chaque fois qu'il interrogeait un fallois, les yeux de ce dernier s'arrondissaient de frayeur et il changeait de sujet.  
Deux semaines, cela pouvait sembler être un laps de temps, mais c'était long pour trouver une simple localisation. Et finalement, après avoir trié les "on dit", rejeté les "le mari de l'oncle du cousin de ma belle-soeur connaît son emplacement" et écouté les quelques précieuses informations qui sortaient du lot, il avait trouvé son homme.
Arvids sortit une carte de son sac qu'il posa à plat sur la table, la lissant à l'aide de ses deux paumes de main. Du bout de son index, il montra à l'écuyer l'itinéraire à emprunter rejoindre la mystérieuse grotte dans le désert. Arvids avait perdu ses deux frères aînés qui avaient tenté l'aventure. Avant de partir, chacun d'entre eux avait laissé les indications pour rejoindre la grotte afin que l'homme poursuive l’œuvre s'il leur arrivait quelque chose. Autant vous dire que Arvids s'était bien gardé de le faire. Il tenait trop à la vie.

Gianny hocha la tête. Il enregistra rapidement du regard l'emplacement de la grotte. Il ne possédait pas la mémoire absolue de son maître, mais le fait que ce dernier en usait et abusait l'avait forcé à entraîner la sienne.
L'heure était venue de mettre fin à l'entretien. Demain matin, il se mettrait en route. Il attendrait que le jour se lève. Gianny ne tenait pas à partir la nuit. Il faisait froid dans le désert durant cette période et en tant que demi-démon, il supportait davantage la chaleur écrasante que la gelée nocturne.
Tout était prêt. L'apprenti ne ressentait aucune peur, simplement une excitation qu'il avait du mal à contenir.


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Les lents mouvements du dromadaire lui donnaient le mal de mer. Cela le rendait moins malade que lors d'un véritable voyage sur l'océan mais c'était quand même désagréable. La chaleur semblait être écrasante avec le soleil qui brillait mais Gianny ne ressentait qu'un léger réchauffement.
Il était seul au milieu du désert. Il portait un chèche qui le protégeait du vent. La chaleur était une chose mais les bourrasques insupportables en étaient une autre. Voilà quarante-cinq minutes que le dromadaire qu'il avait payé marchait. Voyager dans ce désert était une expérience loin d'être agréable.

Le dromadaire freina soudain des quatre pattes. Il blatéra soudain et secoua la tête, refusant d'avancer plus loin. Gianny leva la tête et l'aperçut.

Elle était là, ressemblait vaguement à une tête féline. Un sourire flotta sur les lèvres de l'apprenti. Son dromadaire commençant à s'agiter, Gianny descendit prestement de sa monture. A peine cela fut-il fait que l'animal fit demi-tour, plantant là l'écuyer. Ce dernier haussa les épaules et reporta son attention sur la grotte. Il défit légèrement son chèche pour mieux la voir.

Gianny s'approcha lentement de la grotte. Il savait qu'il ne devait pas avoir confiance en lui à ce point là. Connaissant Jahël, la mission ne devait pas être simple comme attraper un chaton. Mais il était là à présent, à à peine quelques mètres de l'entrée de la grotte. L'heure était venue de faire ses preuves.

Gianny s’approcha de l’entrée qu’il balaya du regard. Les rochers en forme de crocs ne l’effrayaient pas, après tout cela faisait partie intégrante du folklore de la tête féline. Il les contourna mais avant d’entrer il marqua un temps. Un frisson lui parcourut l’échine. Il n’était pas sorcier et la magie n’était pas son domaine de prédilection mais il ressentait sa présence dans l’environnement. Il lui semblait également entendre un son lointain de battements de cœur. Ou était-ce le sien qui résonnait dans ses oreilles ? L’apprenti posa sa main sur son propre palpitant. Non, il battait à allure normale, peut-être légèrement accéléré par l’excitation. Cela venait de la grotte. Assurément, cette dernière n’avait rien d’ordinaire.

L’écuyer reprit son chemin. Il passa entre les rochers et pénétra dans la caverne.
Immédiatement, dans un tel mouvement que Gianny ne vit rien venir, la grotte – ou plutôt la mâchoire se referma sur lui. Il sursauta et regarda derrière lui. Le jour lui était masqué. Il était enfermé, sans aucun moyen de ressortir.
Il reporta à nouveau son regard devant lui, observant l’environnement.

Un bruit lui fit lever la tête. Juste à temps pour voir les stalactites tomber droit sur lui. Il se jeta sur le côté et roula pour éviter l’un d’entre eux. Mais il n’allait pas pouvoir faire ce genre d’acrobatie plusieurs fois, sa haute stature étant pour une fois un handicap. Il se redressa, un genou à terre et leva ses bras au dessus de sa tête, paumes tournées vers les stalactites. Le jeune homme utilisa son pouvoir de télékinésie pour les stopper. Ces derniers s’immobilisèrent dans les airs. L’apprenti manœuvra pour les déplacer et faire en sorte qu’ils au plus loin de lui pour éviter les ricochets de calcaire.
Bien. Cela annonçait la couleur. Bien que le jeune apprenti se soit facilement débarrassé de ces stalactites qui allaient le transpercer, il eut la sagesse de se dire que ce n’était qu’un avant-goût, un amuse-bouche.

Gianny se remit debout en défaisant son chèche. Ses yeux avaient eu le temps de s’habituer à la noirceur des lieux mais ce n’était pas encore suffisant. Hors de question d’avancer à tâtons. Il claqua des doigts et une petite flamme apparut au bout de son index, comme si ce dernier était le manche de la torche improvisé. Devant lui, s’étendait un long tunnel. Cela paraissait être la seule issue. De toute façon, il était ici pour une raison bien précise non ? Cela l’étonnerait que ce soit le lieu d’une fête surprise pour son anniversaire. Même s’il avait pu, hors de questions de reculer.

C’est donc d’un pas déterminé et sûr de lui qu’il s’avança dans le tunnel...

La fraîcheur n'était pas le point fort de Gianny. En tant que demi-démon, s'il était insensible à la chaleur, il ressentait davantage le froid que les humains, malgré la couche de vêtements qui le recouvraient. L'écuyer frissonnait tandis qu'il avançait dans le tunnel, ses pas n'émettant aucun bruit comme s'il flottait sauf que ses pieds étaient bien ancrés dans le sol, prouvant sa détermination. Il régnait dans cette grotte un silence de mort, comme après une blague de Jahël.
Alors que Gianny avançait d'un pas sûr, le sol devint soudain glissant. N'ayant rien pour se raccrocher, il manœuvra tant qu'il pouvait pour rester sur ses fers, bougeant comme une danseuse étoile mais finalement, l'apprenti chuta. Le chemin se transformant en pente raide, Gianny dégringola et glissa sur la pente. Il balaya le sol de ses mains pour trouver une quelconque accroche mais il n'y avait rien hormis le sol poisseux.
Il atterrit lourdement sur le sol et roula sur lui-même. Lorsqu'il se remit lentement sur ses quatre pattes, secouant la tête pour retrouver ses esprits, il les aperçut.
Une bande de scorpions venait vers lui, certains étant déjà en train de lui grimper dessus. Gianny ne céda pas à la panique. Chez lui, l'adrénaline boostait ses réactions au lieu de les paralyser. Il s'enflamma purement et simplement. Les flammes montèrent, dessinant sur les murs les ombres du jeune écuyer et des scorpions qui se jetaient sur lui. Curieusement, tandis que les bestioles grillaient en émettant des petits grésillements, cela n'empêchaient pas les autres de tenter leur chance. Le feu formait comme une barrière protectrice, empêchant la moindre piqûre mais les scorpions n'hésitaient pas à se jeter dans le feu, tels des kamikazes. Les flammes de son corps n'allaient pas être suffisantes.
Gianny se mit debout, les paumes tournées vers les bas. Deux puissants rayons enflammés sortirent de ses mains. Il balaya le nid avec ces deux rayons, nettoyant la zone.
Il fallut un petit moment pour tuer tous les scorpions. Il ne pouvait tout simplement pas s'enfuir sans quoi les bestioles l'auraient poursuivi. Et de toute façon, s'enfuir n'était pas dans ses habitudes. Ces saletés devaient y passer.
Lorsque cela fut fait, Gianny s'éteignit, ne gardant que son poing enflammé pour y voir quelque chose. Apparemment, c'était un mètre une connerie cette histoire. L'apprenti maudit son maître dans son esprit, ne lui envoyant pas de message télépathique. La grotte devait filtrer ses pensées pour empêcher les pauvres bougres qui avaient tenté leur chance avant lui d'appeler au secours.
L'apprenti escalada le nid qui n'était après tout pas très profond. Un rescapé passa près de son pied, souhaitant manifestement percer sa botte pour le piquer. Gianny l'écrasa et inspecta du regard les environs, les balayant à l'aide de son lumineux poing, cherchant une issue...

A l'aide de son poing lumineux, Gianny trouva rapidement une issue : un chemin qui descendait tranquillement.
L'écuyer frissonna sous la froideur ambiante. Il faisait vraiment un froid de Murog. Il aurait volontiers remis son chèche si ce dernier ne le gênait pas. Il semblait que le feu de sa main ne suffisait pas à le réchauffer, comme si la fraîcheur des lieux était...magique.
L'apprenti se remit donc en route, marchand d'un bon pas. Il chemina ainsi pendant une dizaine de minutes sans que rien de notable se produise. C'est qu'il commençait à s'ennuyer ! Les épreuves qu'il avait surmontée jusqu'alors, bien qu'agaçantes, étaient bien dérisoires. Il commençait à se demander quand aurait lieu un peu d'action. Une véritable action, s'entend.
Comme une réponse à sa question, il remarqua que ses pieds étaient humides. Baissant les yeux, Gianny aperçut une immense flaque d'eau. Il porta son regard au loin et constata qu'au fur et à mesure qu'il allait avancer, la flaque d'eau gagnait en profondeur jusqu'à devenir une sorte de petit lac. Gé-nial.
Il n'y avait pas d'autres issues. Au bout de ce lac se trouvait un cul-de-sac. Ce qui voulait dire que la sortie se trouvait soit derrière une sorte de passage secret qu'il devait trouver, soit en dessous du niveau de l'eau.
Gianny s'approcha de l'étendue liquide. Il se pencha en avant et trempa un doigt inquisiteur pour évaluer la température. Brrr. Logique. Il se redressa et soupira. Puisqu'il fallait y aller.
Prenant une profonde inspiration, Gianny s'immergea dans l'eau maintenant sa tête hors de cet affreux liquide. Il prit appui contre le mur et se projeta en avant tout en dépliant ses membres inférieurs. Puis il se mit à nager. Gianny progressait lentement mais sûrement. Il faisait la brasse tout en proférant des injures envers son maître. Par Parandar, qu'il détestait l'eau !
Il arriva enfin au niveau du cul-de-sac. Bien.
Un bruissement lui fit tendre l'oreille. Il se retourna juste à temps pour voir une imposante nageoire dorsale disparaître sous l'eau. Oh. Apparemment, il allait enfin avoir l'action qu'il avait réclamée. Il sortit son couteau, le cala dans sa bouche à l'horizontale. Il allait devoir s'immerger complètement sans quoi la créature l'attraperait par les jambes pour le tirer tout au fond. Il prit une grande inspiration et plongea.

Une fois sous l'eau, il aperçut la créature qui fonçait droit sur lui. Une sorte d'imposante murènes aux nageoires semblables aux pattes d'un scolopendre et aux dents de piranhas. Gianny s'empara de son couteau qu'il tenait dans sa bouche. L'apprenti parvint à éviter le monstre une première fois mais lorsque ce dernier fit demi-tour, il réussit à happer le bras de l'écuyer qu'il mordit. Pas très profondément mais assez pour lui causer une vive douleur. Pendant que la créature était accrochée à son bras, Gianny planta son couteau dans la tête du monstre. Il dégagea son bras et, ignorant la douleur, se retourna pour trouver la sortie. Tandis que l'espèce de murène coulait tout au fond, une armada de ses copines, appâtées par l'odeur du sang, décollèrent du sable et foncèrent droit sur Gianny. Ok. Là il pouvait paniquer.

L'écuyer regarda rapidement le mur qui lui faisait face. Enfin, il l'aperçut.
Un minuscule passage à sa droite, assez grand pour le laisser passer.
Gianny n'avait jamais nagé aussi vite de sa vie. Lorsqu'il s'inséra dans le passage, le monstre le plus proche le suivit mais resta bloqué entre l'intérieur et l'extérieur, ses mâchoires claquant à quelques centimètres des pieds de Gianny. Ce dernier ne perdit pas de temps à faire la nique à la créature. Il commençait à manquer d'air. L'écuyer se dégagea du passage, sortant de l'autre côté pour atterrir dans un autre lac. Il remonta à la surface et inspira enfin l'air libre.

Toussant et crachotant, Gianny se hissa sur la rive le plus inélégamment du monde. Il fit quelques pas, ses chaussures faisant "scouich scouich". Jetant un regard sur sa blessure, il la jaugea rapidement du regard. Ce n'était pas trop grave mais il fallait faire quelque chose. L'apprenti déchira le bas de son pantalon, claqua des doigts pour allumer un feu et sécher ce morceau de tissu. Une fois que cela fut fait, il s'en servit pour faire un bandage autour de son bras. Il garda le feu allumé pour sécher le reste de ses vêtements, gardant ses sens en éveil pour surveiller l'arrivée d'un éventuel ennemi.

Une fois ses vêtements secs, Gianny se redressa et se remit en route. L'écuyer regardait autour de lui pendant qu'il descendait en pente douce. Rien d'important à signaler. Des cailloux, des stalagmites, des petites araignées qui couraient le long des murs. Une grotte quoi.
Enfin, il aperçut une lueur. Un scintillement à peine perceptible mais qui l'attirait irrésistiblement. Cette lumière n'était pas là par hasard. Il devait la rejoindre.

Cependant, Gianny commençait à en avoir ras les oreilles pointues. Il avait l'impression d'être dans cette grotte depuis des jours, il avait complètement perdu la notion du temps et ces défis à la chaîne commençaient à lui courir sur le haricot. Où était le boss de fin ? C'est pourquoi, l'impulsif Gianny choisit de courir vers la faible lueur.
Heureusement pour ses fesses, il passa par le centre. A peine avait-il posé le pied sur le chemin qu'il fut projeté dans les airs pour terminer sa course dans le lac avec un "plouf" qui résonna dans la caverne.
Il se retrouva à nouveau nez-à-gueule avec les murènes. Battant frénétiquement des bras et des jambes, Gianny remonta à la surface et se traîna comme une patate trempée sur la rive, échappant à nouveau de justesse aux monstres.
Il resta un moment recroquevillé sur lui-même en grelottant. Ce bouillon aqueux était vraiment des plus déplaisants. Après une petite pause, le demi-démon se redressa, bien décidé à affronter les mines en utilisant son cerveau. Une fois n'est pas coutume, hein Gianny.

Il ramassa une poignée de cailloux et les jeta sur le chemin. Certains, comme prévu, rebondirent sur le sol et rejoignirent le lac. Mais d'autres explosèrent, purement et simplement. Réduits en poussière en une fraction de seconde.
Gianny prit à nouveau une poignée de gravats qu'il mit dans sa poche. Il posa un pied puis un autre. L'apprenti jeta un caillou qui resta à sa place. C'est donc à cet endroit qu'il choisit de poser son pied. Il le ramassa et le jeta à nouveau. Cette fois, le galet fut projeté dans les airs. Gianny continua son petit manège avant de commettre une erreur stupide et fatale. En allant un peu trop vite, il perdit l'équilibre et s'écrasa contre le sol.

- Ho edrem...(oh merde) eut-il le temps de lâcher avant d'être projeté dans le lac.

Se mouiller. Échapper aux murènes. Et devoir recommencer. A nouveau, il ramassa des galets et reprit son expédition en prenant son temps.

Ce fut long. Compliqué et laborieux. La patience n'était pas le fort de Gianny. Il réussit toutefois et une fois le chemin rebondissant passé, la lumière qui se trouvait dans une courbe était à sa porté. Respirant profondément, il s'y engagea...