Rencontre Diplomatique, Féerique et Hypocrite [PV Aurore]

Quelques temps après ma mission au royaume des fées à la recherche d’une pucelle insouciante, suivi d’un rapport des plus sérieux, je fus recommandé d’aller quérir de nouvelles informations sur la Reine régnante sur le territoire féerique. La gouvernance d’Argent avait trouvé judicieux de renforcer les liens avec ce royaume ensorcelant et afin d’avoir des rapports sans fausses notes, on m’envoya une nouvelle fois passer quelques jours dans ce pays merveilleux. Si d’ordinaire, j’aurais pu être grognon à cette idée, il n’en était rien à ce jour, car mes réserves d’ingrédient commençaient à se vider et je me devais de préparer pour l’an prochain quelques lots pour les jeunes recrues. Là encore, l’idée ne m’enchantait pas plus que cela… Je n’étais pas sûr que l’enseignement était ma voie, mais il fallait bien quelqu’un pour rehausser le niveau des jeunes sorciers et l’Ordre des sorciers avait été clair sur ce sujet. J’espérais qu’avec ces quelques cours ma réputation me ferait gagner quelques points et places pour envisager une place prestigieuse dans l’Ordre.

C’est donc avec ma nonchalance habituelle, ma cape d’un bordeaux des plus rouges et mon uniforme de représentant que je me rendais au point de rendez-vous, à la frontière des deux territoires. La Reine des Fées avait été prévenue de mon arrivée. Normalement, une escorte devait me retrouver à la frontière, sur la route principale, pour me guider ensuite jusqu’à leur Majesté. Je redoutais un peu ce séjour horrifiquement merveilleux. Je n’aimais absolument pas les Fées. En tout point. Elles étaient à mes yeux trop fragiles, naïves, optimistes, joyeuses et mille fois trop bavarde à mon goût. C’est donc sans trop me presser que je finis par atteindre la croisée des chemins et retrouver, sans trop de mal, le campement des fées. Sans grande surprise, je fus relativement bien accueilli par une population féerique, pratiquement féminine. Après quelques salutations de courtoisies, nous nous remîmes en route vers le château invisible.

Après quelques jours de route dus à mes nombreuses escales, mais également à cause des raccourcis et visites mystérieuses des fées, nous finîmes par arriver à destination. Les rumeurs étaient fondées. Le Château de ces créatures ailées était effectivement d'une magnificence irréelle. Il semblait être entouré d’une aura de magie et de mystères. Si le merveilleux n’était pas mon univers de prédilection, je me devais tout de même de reconnaître que j’aimais énormément la magie qui s’en dégageait. Tout était que luxe, calme et volupté. Le décor et l’ambiance donnaient à rêver, et même s’il arrivait à séduire mes yeux, je dus me faire violent pour garder mon cœur incorruptible. Les envoûtements du royaume étaient puissants. Si puissant que j’étais pratiquement certain que ce territoire cachait mille et une horreur derrière ses belles illusions.

Pour l’heure, sur notre passage, les fées jetaient des pétales de fleur, riaient aux éclats et se mouvaient, telle des petites puces volantes excitées par ma présence. J’étais assez curieux. Elles devaient probablement sentir mon flux magique autour de moi et c’était probablement ça qui les rendaient intenables. D’ordinaire, les fées étaient plutôt timides. Lorsqu’il m’arrivait d’en croiser une, celle-ci n’osait trop me parler de peur de me déranger. Là, elles virevoltaient en tous sens et cela commençait même à me donner le vertige et des maux d’estomac. Le contexte jouait probablement aussi… Dans cette agitation, mes yeux trouvèrent de nouveau une affiche qui avait motivé la réalisation de mon rapport… Sur celle-ci, la Reine invitée très clairement ses fidèles à rejoindre le corps de défense du royaume. Il annonçait clairement que des cours et des enseignements magiques leur serait donné pour leur permettre de mieux protéger leur territoire. La nouvelle était assez inquiétante. Les fées avaient une source naturelle et inépuisable de magie, si elles étaient en capacité à se protéger seules, l’Empire n’aurait pas d’autre choix que de resserrer la surveillance et maintenir les accords, quitte à en créer de nouveaux, pour garder le territoire sous sa coupe.

C’est avec une prestance mesurée que je descendais de ma monture pour saluer la Reine Aurore. Au pied des marches de sa Majesté, je posais un genou à terre en inclinant la tête jusqu’à ce que celle-ci me permette de me relever. En guise de présent, je tendais à la tête couronnée un boite en bois sculpté. Tout en me présentant, j’ouvris celle-ci pour lui présenter la parure d’argent et de pierre de lune qui reposait sur un tissu de soie rouge.

“Reine Aurore de Fée, c’est avec un immense honneur que je me présente à vous, moi, Gédéon Coeurdencre, Sorcier de l’Empire d’Irianeth. Veuillez accepter, en guise de ma reconnaissance et salutation de l’Empire, cette parure d’argent et de pierres de lune, les plus pures de nos terres.”

Une fois, ceci fait, je donnais le présent à une fée qui l’amena à sa Reine pour que celle-ci puisse apprécier de plus près l’ouvrage.

Le dégoût me brûlait l’estomac à la vue de cette réaction si peu digne d’une Reine. Du moins, de ce que je me faisais à l’idée d’une Reine. Elle n’était ni belle, ni maniéré et encore moins partisane de l’étiquette. Les use, coutumes et moeurs des fées pouvaient être différentes, je n’en doutais pas, mais j’avais espéré que dans le cadre de notre échange diplomatique, la Reine Aurore eut pu faire un effort. C’était bien trop lui demander… Comme une fillette écervelée elle mettait les bijoux sans se soucier des accords de textures, de matières ou bien encore de couleur. Si déjà j’étais plutôt passif sur sa tenue, qui n’avait rien, mais véritablement rien, d’une Reine, j’eus tout de même un peu de mal à ne pas crisper ma mâchoire lorsqu’elle me fit l’affront de porter le présent sur le champ. La suite de ses propos furent encore plus irritant. Gardait-elle à l’esprit qu’elle était sous la protection de mon Empereur ? Ses affiches et maintenant ça, décidément cette rencontre avait le goût de la traîtrise…

Lorsqu’elle s’adressa de nouveau à moi, je lui exprimais un faux sourire charmeur et pouvait en dire long pour les habitués de l’étiquette. Il était connu pour être poli, mais sans plus d’émotion, juste ce qu’il faut pour être courtois. Au vu de ses conclusions, je me relevais, prenant celles-ci comme une invitation à me redresser et à aborder, de manière peu conventionnelle encore une fois, le vif du sujet devant l’assemblée entière.

“ Reine des Fées, permettez-moi de vous proposer un intermède avant d’aborder le pourquoi de ma visite. Loin de moi l’idée de profiter de votre hospitalité si généreuse sur vos terres, mais, après une si longue route, me serait-il possible de me délester et de me rafraîchir un peu avant de pouvoir vous exprimer les différentes raisons de ma visite ?”

Il était peut-être culotté de ma part de déroger aux envies de sa Majesté, mais elle n’était en aucun cas ma Reine et je craignais fort l’incident diplomatique si nous devions parler devant toutes la cour des points que nous devions aborder. De plus, je l’avais encore en travers de la gorge le fait qu’elle puisse remercier un artisan et n’avoir aucune pensée pour le Gouverneur d’Argent ou le couple Impériaux. Ah les fées… Elles n’étaient définitivement pas ma tasse de thé. Voyant qu’un instant sans réponse commençait à s’éterniser, je tentais de rattraper l’affaire en promesse et compliment.

“ Que sa Majesté en soit certaine, je serais rapide afin que nous puissions échanger au plus tôt en un lieu plus favorable aux intrigues politiques. Après tout, c’est pour vous que je suis ici et uniquement dans ce but précis de passer, en votre merveilleuse et royale présence, un peu de temps auprès de vous et vos semblables.”

Je venais d'échapper belle à une colère que je n'osais pas imaginer encore... Ma réplique de dernière minute avait illuminé le visage de la Reine des fées et pendant un court instant, j'avais espéré que ses messes basses me permettraient un peu de repos. Hélas, il n'en fut rien. La Souveraine me tendait son bras pour que je la suive et je compris alors qu'il me fallait encore trouver la force de rester debout. Se rendait-elle compte, cette couronnée niaise, que j'étais un humain avec des besoins ? Je déglutis, le visage inexpressif, vidé de mon âme, je m’exécutais et prenais son bras tel un parfait noble de chez nous. J'avais mal partout après tant de trajet à cheval. Je sentais mes yeux me piquer et ma peau se tirer. Je me suis même demandé si son refus de me laisser quelques heures pour me délester n'était pas uniquement pour tester mon endurance ou me pousser dans mes retranchements. De toute évidence, cette affreuse créature était bien trop inhumaine pour comprendre... Pas étonnant que l'Alliance les laissés à son triste sort alors qu'elle accueillie les Elfes. J'inspirais profondément et fis quelques pas avec elle.

"Si cela vous convient… Alors cela me convient également."

Le visage fermé, la voix grave et monocorde, je suivis Sa Majesté dans les différents espaces de sa demeure tel un golem suivant son Maître. Néanmoins, je fis de mon mieux pour la tenir à une distance mesurée. Ma propre transpiration et l'odeur de ma monture me dégoûtèrent alors je n'osais imaginer ce que le nez délicat et imposant de cette Reine pouvait sentir. Frottant de ma main libre ma nuque pour me dénouer celle-ci, je sentais que mes vieux démons commençaient à refaire surface. J'avais horreur d'une telle proximité avec des individus qui ne mettait pas familiers et mon état corporel me semblait si catastrophique qu'il me mettait mal à l'aise. Je fuyais son regard telle la peste personnifiée de peur qu'elle trouve encore quelques choses à dire et à prolonger en ma présence. Il fallait que je reste calme, alors je faisais un décompte dans ma tête pour contrôler ma respiration. À présent, ses fées étaient loin derrière nous, le silence toujours pesant, je finis par lâcher son bras et m'éloigner d'elle d'un pas. Peut-être me laisserait elle me reposer une fois le sujet de ma visite entendue comme elle le réclamait au début.

"Chère Reine Aurore, j'espère que ma visite ne vous donne point de soucis. Si je suis ici, c'est pour vous donner principalement ma version des faits suite à la disparition, il y a peu, d'une jeune fille de la noblesse de Diamant."

Je marquais un temps de pause. Cette affaire était grave et j’espérais que la Reine puisse m'en dire un peu plus sur ses terres mystérieuses. Un peu contrarié par ces derniers événements, je fronçais légèrement les sourcils avant de reprendre, les mains sur ma ceinture.

"J'imagine que vos sujets, du moins ceux qui étaient présent lors de notre départ, vous en ont fait un retour des plus précis."

Le soulagement fut divin lorsqu’elle me permit enfin de prendre place dans un siège. À l’intérieur de mes bottes, je tentais de faire bouger mes orteils pour vérifier qu’ils étaient encore là et j’en profitais pour les décoller de la surface plate de mes semelles. Poser mon dos contre le dossier de la chaise me fit également le plus grand bien, et même si mon corps me donnait l’impression d’être aussi rigide que celui d’un pantin de bois, j’étais tout de même heureux de pouvoir poser mon fessier sur une surface plus confortable qu’une selle.

Les propos de la Reine sur la brume magique ne me donnèrent guère d’informations sur son apparition et son développement. Je choisissais de creuser un peu plus cette piste. Mon visage légèrement plus détendu, je poursuivais sur un ton intimant la confidence.

“ À vrai dire, votre Majesté, nous avons retrouvé la jeune femme. Cependant, comme vous venez de le sous-entendre, son esprit n’a pas résistée aux brumes magiques. Elle est absente, voire mentalement instable. Lorsque nous l’avons retrouvé, elle était inconsciente et à son réveil, nous parlait d’un lapin “garou”.”

Les souvenirs de ce jour me revinrent en mémoire et je déglutis. Moi qui me plaisais à déambuler dans les brumes épaisses de ce brouillard, j’avais à présent une nouvelle vision de celui-ci qui me remettait un peu de plomb dans la tête.

“Avez-vous quelques informations sur l’apparition de ces brumes ? Savez-vous si, depuis leur présence, elles gagnent du terrain ? Car si c’est le cas, je suis assez surpris de voir qu’aucune requête de votre part n’a été faite à l’Empereur. Fée étant sous le protectorat de l’Empire, vous pourriez recevoir une aide à cet effet. Du moins, je suppose.”

Notre conversation fut coupée par un domestique qui vient nous apporter quelques délices sucrés du terroir. Friand de ce genre de gastronomie, je sentis ma salive venir en abondance dans ma bouche rien qu’à la vue et l’odeur des petites douceurs. Ces cinq petits amuse-bouches étaient recouverts d’un nappage verdâtre qui me faisait penser aux amandes. Sur le dessus, une délicate feuille de menthe et une perle de bonbon au miel donnaient encore plus envie d’y goûter. J’attendis que nous soyons de nouveau seuls pour indiquer de deux doigts les petits gâteaux et demander, tel un enfant, si je pouvais en prendre un.

“Est-ce que votre Majesté me permet de me saisir de l’un d’entre eux ?”

D’ordinaire, je n’aimais ni manger ni boire avant mon hôte, de peur que tout ceci fut empoisonnés, mais, à cette heure, mon corps demandait un peu de réconfort et puisqu’on me savait en mission à Fée, il aurait été peu malin qu’il m’arrive un malheur en route. J’étais en suspense devant la Reine des Fées. Si bien que je me forçai presque à faire un sourire agréable pour tenter d’obtenir un simple “oui” de la tête pour m’emparer du précieux trésor culinaire. À cet instant, il m’était impossible de penser à autres choses que ces pâtisseries, et même la vie réduite à néant de cette petite noble perdait tout son sens à mes yeux devant l’importance et la finesse de ces crémeuses douceurs mentholées.

Lorsque j’eus la permission de celle-ci pour me saisir d’un des gâteaux, je me levais de mon siège confortable pour m’approcher de la Reine et du plateau de friandises. D’une oreille attentionnée, j’écoutais attentivement ses propos sur les dernières connaissances historiques collectées sur la brume féerique de ce royaume. Hélas, la Reine ne put me donner des détails précis ou des informations pertinentes pour que je puisse, à mon tour, mieux les utiliser pour mes prochains voyages. Cependant, je doutais qu’elle puisse me parler si franchement de cette protection défaillante de son fief. Me disait-elle tout ? Si c’était le cas, ce n’était donc pas pour cette raison qu’elle avait fait circuler un recrutement pour ses “armées” si nous pouvions les appeler ainsi. Alors que j’étais à moins d’un mètre d’elle, je me saisis d’un gâteau crémeux et délicats avant de m’installer sur la chaise faisant l’angle, juste à ses côtés. Je compris qu’il me fallait faire un nouvel effort pour tenter de fouiller et de percer les secrets de cette Reine d’une autre espèce. Ma meilleure arme, pour l’heure, était mon charme. J’avais remarqué qu’elle posait sur moi un regard différent. Elle était probablement curieuse de mes traits d’humain, car je doutais qu’elle puisse en voir beaucoup d’autres de mon genre. Enfermée dans son royaume merveilleux, elle n’avait que de rares occasions de délaisser celui-ci pour observer le monde extérieur et ses multiples cultures.

- Je vois. Dans ce cas, puis-je vous demander, Chère Reine, pourquoi vous cherchez à gonfler vos rangs militaires ? Si je vous suis bien, les Fées ne sont pas menacées, ni par une espèce extérieure, puisque l’Empire s’occupe de votre protection. Ni par un mal qui vous rongerez de l’intérieur. Alors, pourquoi ai-je pu voir pendant ma mission précédente des affiches d’enrôlement ainsi qu’une nouvelle à mon arrivée ici ?

Mes propos étaient dits sur un ton des plus calmes et je posais sur elle un regard curieux et malicieux tout en croquant avec envie dans le petit gâteau que j’avais saisi. La posture ouverte tournée vers elle me donnait une allure qui l’invitait presque à entretenir un instant privé et secret avec moi. Jambes écartées, un simple pied de table obstruait cette ligne ouverte entre elle et moi. Un bras par-dessus le dossier de ma chaise, le second m’aidant à soutenir mon corps et apporter avec nonchalance l’encas à mes lèvres. Je le dégustais avec lenteur tout en appréciant sa composition culinaire. Puis, mes yeux d’un bleu d’acier se posèrent de nouveau sur elle. Je détaillais ses courbes intéressantes et ses cheveux d’un exotisme particulier. De mon bras ballant, je désignais sa chevelure en l’accompagnant d’une voix chaude et mielleuse.

- Vous a t on déjà dit que vos cheveux, à la lumière du jour, révélés des reflets splendides pareils à ceux des plus purs des cristaux ? Ils mettent en valeur votre peau et les traits délicats de votre visage. C’est fascinant de constater que les Dieux aient su sculpter et préserver votre essence. Une véritable prouesse divine… Vous ne pouvez être que béni par leurs desseins.

Terminant mon mets, je suçotais les extrémités de mes doigts, en cherchant la moindre faille expressive sur le visage de mon hôtesse de marque. Je ne la quittais pas des yeux, pas même d’un battement de cils. Observateur, j’inclinais ma tête sur le côté pour la laisser reposer sur mon poing. Impatient de connaître sa réponse à propos des armées féeriques qu’elle et son royaume cachaient aux yeux de l’Empire.

Mon compliment fit son effet, sa surprise fut si soudaine que la Reine des fées manqua d’air. Devant son étouffement, je ne sus -au départ- si je devais l’aider à respirer ou non. Fort heureusement, les dieux furent plus avenant et Aurore retrouva ses couleurs. Cependant, mon visage s’assombrit lorsqu’elle voulut défendre ses idées à propos de cette nouvelle garde. Ma tenue devint plus sérieuse et mon regard plus sévère. Était-elle en train de se moquer de moi ou ignorait elle réellement qu’une garde de l’Empire pouvait arriver à tout instant ? Je préférais choisir la seconde option pour lui faciliter la tâche. Il aurait été gênant que je sois plus contrarié encore pendant ce séjour.

- Bien. Peut-être que vous devriez sortir votre merveilleux château plus souvent Reine Aurore. Pour votre protection, pensez bien que notre Empereur n’a pas fait quelques promesses en l’air. Au niveau des frontières des veilleurs de l’Empire guettent les passages et la circulation des alliés d’aujourd’hui qui pourraient devenir les ennemis de demain. Vous n’êtes pas sans savoir que l’Alliance, bien que nous entretenons avec eux, pour le moment, un semblant de paix, sont opposés à la magie. L’Empereur ne laisserait pas sans surveillance un territoire si précieux et magique que le vôtre sans surveillance. D’autre part, nos dragons sont tout à fait capables de battre des records pour venir protéger vos frontières. Vous n’êtes pas seule et si vous avez l’impression de l’être, que l’insécurité vous ronge, vous pouvez toujours me le signaler. Étant à Argent, il ne me faudra que peu de temps pour rassembler des hommes et venir à votre chevet.

Je portais sur elle une main bienveillante sur les siennes. Même si elle était une fée, elle restait tout de même une femme et bien que la culture féerique fut différente de la nôtre, je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’elle avait probablement une fragilité et une inquiétude justifiée par son rôle de souveraine. Mes yeux bleus cherchaient à lire les siens. Je n’avais pas l’audace de lire ses pensées, il aurait été inconvenant de pénétrer son intimité sans y être invité.

- Je peux comprendre votre souhait de vouloir vous défendre seule. D’avoir cette sécurité de secours au cas où, mais je vous l’assure, elle est inutile. Pardonnez mon inconvenance, mais, vous sentiriez vous mieux si l’Empereur mettait à vos côtés un homme, ou peut-être une femme, puisque j’ai cru comprendre que cela était permis par chez vous, pour vous rendre plus sereine ? Je sais que, d’ordinaire, il est bon de trouver l’amour par soi-même, mais… Parfois, un mariage arrangé peut apporter plus de stabilité.

Mes propos n’attendaient pas réellement de réponse de sa part. Si elle souhaitait que nous parlions d’amour et d’économie ou de moyens, cela était envisageable. Lentement, je relâchais ses mains pour qu’elle n’ait pas l’impression que je l’emprisonnais aussi bien verbalement que physiquement. J’espérais que ma proposition de correspondance la rassure et lui permette de constater que bien que Fée fut sous le protectorat de l’Empire, elle avait sa possibilité de s’ouvrir et de s’épanouir comme tous les autres territoires. Bien que j’étais le Sorcier d’Argent, mon courrier était ouvert aux gouvernances en attendant que plus de sorciers prennent placent dans chaque région.

Pouvais-je faire confiance en cette Reine dont le territoire avait été ramassé par notre Empereur ? Assurément non. Ni mon cœur, ni ma raison ne me le permettait. À mes yeux, les fées n’étaient que des créatures fragiles, manipulatrices et bien trop farceuses pour que l’on puisse leur faire confiance. Une seule méritait encore mon respect et c’était l’actuelle Chef de l’ordre des sorciers. Elle m’avait démontré à de multiples reprises ses talents, mais bien que j’eue de nombreuses idées pour le futur de l’ordre, je me devais d’admettre qu’elle était plutôt méritante. De ce fait, il allait de soi que la réponse si affirmative et sucrée de sa Majesté me sembla fausse en toutes notes. Comment –sur un simple échange improvisé avec un sorcier sans rang particulier si ce n’est d’être un ambassadeur improvisé- pouvait elle cesser toutes ses activités militaires ? Après tout, elle était une Reine et moi, un « simple » sorcier de l’Empereur qui cherchait un os à ronger pour le ramener à son Maître et tirer dans la foulée quelques flatteries. Oui. Ce n’était pas le plus glorieux, mais si je voulais monter les échelons, il fallait bien que je prouve ma loyauté et la Reine m’avait tendu cette perche à deux reprises… Il aurait été idiot de ne pas la saisir.

« Permettez, très chère Reine, de pardonner cette intrusion par avance, mais depuis combien de temps vivez-vous ici sans Roi ? Si l’ethnie vous inquiète, je suis certains qu’il peut exister dans vos terres quelques hommes fées qui peuvent assumer le rôle de géniteur tout du moins. Après tout, l’Empereur vous fait suffisamment confiance pour vous laisser votre couronne… »

Est-ce véritablement le peuple féerique qui n’aurait pas aimé avoir un Roi ? Qu’il soit fée ou non, à vrai dire, elles n’avaient pas vraiment le choix. Par ses dernières paroles, la Reine Aurore faisait de nouveau sonner mon alerte empirique. S’il était nécessaire de mettre un homme pour la seconder et ainsi obtenir un couple « royal » pour les apparences, Fée ou Non-Fée, le peuple tout comme elle, n’avaient pas leur mot à dire. Leur royaume était sous le joug de l’Empereur. Par sa réplique, elle m’indiquait clairement qu’elle ne reconnaissait pas l’autorité de dirigeant d’Irianeth et ce n’était pas la première fois que sa langue fourcha. Dès mon arrivée, elle me l’avait indiqué en parlant de l’artisan qui avait confectionné son présent. Aux yeux de n’importe qui mes propos pouvaient être pointilleux, mais ils se tenaient. Il était peut-être grand temps qu’un gouverneur sans histoire avec Fée vienne relever la Reine de ses fonctions pour assurer l’allégeance que devait cultiver le territoire.

« Pardonnez-moi, je vois que cette question vous indispose. Soyez sans crainte, elle était purement historique afin de connaître le parcours démographique de votre lignée royale. Je suis peu connaisseur en matière de fertilité féerique, mais je dois avouer que cela me rend curieux. Peut-être, pourriez-vous, un peu plus tard dans la soirée si cela vous arrange, revenir sur ces détails ? »

J’accrochais un sourire charmeur et ponctuais mes phrases dans le but appuyait de lui faire comprendre un sous-entendu des plus déplacés. Clairement, je préférais me vendre pour obtenir quelques confidences et gagner sa confiance. Bien entendu, je m’arrangeais pour ne rien lui promettre sur ce terrain. Il aurait été bien trop dangereux pour moi d’envisager une quelconque liaison avec une femme ailée couronnée qui n’avait aucun respect pour ceux qui protégeait ses terres. Afin de rendre l’échange plus intime, je profitais de cet instant en tête-à-tête pour lui confier un souvenir d’enfance afin de titiller sa corde émotionnelle. Dans les convenances, cela aidait généralement les échanges verbaux et mettait en confiance les destinataires. Je simulais donc un petit rire malicieux tout en l’observant et lui envoyant un code gestuel l’invitant à s’ouvrir. Je posais deux doigts sur ma tempe et deux autres juste au-dessous de mes lèvres pour inviter ses yeux à se concentrer sur eux selon sa préférence de séduction.

« Cela peut paraître idiot, mais lorsque j’étais enfant, on me confia que les fées naissaient du premier rire qu’avait un nouveau-né. Alors, je me demandais comment les Reines, Rois et Princes et Princesses faisaient pour venir en ce monde… »

Malicieux et séducteur, je gardais mon sourire candide et mon regard mystérieux pour elle.

La violence des propos de la Reine me laissa aussi froid que le marbre. Perdre aussi facilement son sang-froid ne faisait absolument pas bon ménage avec les responsabilités qu’elle avait en main. Comment une personne si influençable et si émotionnellement instable pouvait réellement diriger un royaume ? Par son comportement, ses affiches, quelques témoins, qu’ils soient vrais ou faux, cette dénommée Aurore venait de signer son arrêt et son allé simple pour les oubliettes. D’où usait-elle de « mon cher » suite à la violente saute d’humeur dont elle venait de faire preuve ? Cette fée capricieuse allait goûter le feu ardent des dragons d’Irianeth et j’en mettais ma main à couper. Ma veine temporale battait comme un tambour de guerre. Mes yeux reflétaient les fers des lames sorties de leur fourreau. Mon cœur réclamait la soumission de Fée par le chaos s’il faillait en passer par là. Ce peuple devait apprendre qui donnait les ordres et qui devaient les exécuter. D’une voix des plus calmes, en contraste total avec mon humeur flamboyante, je venais soumettre à cette fausse Reine de me laisser gagner mes appartements provisoires.

« Si Son Altesse veut bien m’excuser. L’épuisement de cette chevauchée et de cet entretien vint d’avoir raison du sorcier que je suis. Si vous n’avez plus besoin de moi, j’aimerais pouvoir me délester de mes artefacts. »

Les trompettes champignonesques du palais se mirent à sonner. Elles réclamaient la présence de la Reine dans la salle du trône pour une affaire qui m’était encore inconnue. Un page, à peine plus haut que trois pommes, vint pousser les lourdes portes de la salle dans laquelle nous nous entretenions. Son souffle était court, rapide et à en observer sa démarche sur ses petits chaussons glissants, il devait avoir l’air bien pressé. Motivé par son message qu’il tenait à délivrer au plus vite à sa Reine, il vint lui susurrer des mots que je ne pus entendre. Néanmoins, je m’estimais chanceux, son arrivé et cette réclamation royale venaient de me tirer la vilaine épine qu’était cette Aurore au nez crochu.

« Bien. Je prends ceci pour acquis. Reine Aurore, au plaisir de vous retrouver plus tard. »

Prestement, je me levais, la saluais, avant de quitter la salle d’un pas militaire et d’un regard suspicieux. Plus vite, je serais loin de cette vilaine, plus vite, j’allais avoir tout le loisir de chercher la petite bête dans son beau palais. La magie était la pièce maîtresse de ce royaume, un pion de qualité sur l’échiquier de mon Empereur. Pour ces raisons, je me devais d’être le plus rusé et discret possible pour collecter mes informations. Au détour d’un couloir, qui menait étrangement à rien, je fis appelle à mes pouvoirs et me fondais dans les ombres de la demeure royale. Allant des cuisines à la cours, des souterrains au tour. Pas une pièce ne resta close, pas une souris ne remarqua ma présence silencieuse. Lorsque je reviens à mes appartements, je pris soin de noter tout ce qui me semblait important et scellait mes écrits par un sortilège d’illusion dont j’avais le secret. Le soir, à la table de la Reine, je me fis des plus doux et compréhensif. La soirée fut agréable et marcher en compagnie de la tête couronnée, bien qu’elle puisse avoir des sujets de conversation des plus lourds, fut un instant où je pus apprécier les beautés de Fée. Il fallait l’avouer, si nous enlevions quelques vilaines bêtes, le monde n’était pas si noir ici. J’aurais presque eu envie d’y rester. Quelques jours plus tard, je scellais de nouveau ma monture et fis mes adieux à la Reine qui n’en avait que le titre. Il me tardait de rentrer à Argent afin dit demander au plutôt un dragon et son meneur pour me mener à Pikay. L’affaire était pressante.