Une victime à l'air savant (PV Ehvan)

En ce bel été 1254, Meïlhor flânait dans les rues de Béryl profitant des rayons du soleil ardent. Ce territoire étant une terre entourée de mine et de roche, la jeune mercenaire ne désirait pas y demeurer trop longtemps. Elle était ici pour affaire, une fois sa proie retrouvé et anéantie elle pourrait repartir pour de nouvelles épopées. L'esprit de Meï vagabondait au grès du vent lorsqu'elle remarqua un jeune homme. Ce n'était pas son physique, sans nulle doute très ordinaire, qui attira la jeune femme mais sa posture quelque peu surprenante. Ainsi l'individu paraissait littéralement absorbé par le livre qu'il était en train de parcourir, bousculant les pauvres âmes qui se trouvait sur son passage, ne se souciant de rien d'autre que de sa lecture. Au grès de son avancé, à plusieurs reprise il manqua de trébucher sur les porosités du chemin. Il réussissait à retrouver un équilibre précaire à chaque fois au dernier moment. Il semblait coutumier de cet exercice sans doute périlleux.
Cette scène arracha un sourire à Meïlhor, il n'était pas possible d'être à ce point une victime toute désignée. Elle aurait put lui dérober tout ces biens, avant qu'il ne songe même à lever le nez de son bouquin. Le jeune homme portait une sacoche en bandoulière, mais la lui subtiliser semblait presque trop aisé à la voleuse. Elle l'observa un peu plus attentivement, cherchant à vérifier si le jeune homme n'était pas plus dangereux qu'il n'y paraissait au premier abord. Meï ne savait que trop bien qu'il ne fallait pas se fier aux apparences. Elle même paraissait douce et fragile mais la vérité en était toute autre. L'inconnu continuait son chemin sans soupçonner les tergiversations de la mercenaire. Il bouscula une énième personne, qui s’avérant moins chanceuse que les précédentes, s’aplatit de tout son long sur le sol. Pour autant le jeune homme, ne lâcha pas son ouvrage, il continua sans se soucier le moins du monde du pauvre malheureux à ces pieds. Il était sans nul doute réellement maladroit et hors de toute réalité. Cela n'était pas une façade ingénieuse.  
Meïlhor décida donc de lui dérober son bien après tout cela lui apprendrait à avoir l'air si facilement détroussable. Elle s'approcha donc discrètement du jeune homme, sortit sa dague et trancha la lanière de l'objet. Ce vol était de loin le plus facile qui lui était donnée de réaliser. Elle s'en alla d'un pas sautillant plaçant son larcin sous son manteau le dérobant ainsi au regard des passants.
Un peu plus tard dans la journée, Meï décida de fouiller la sacoche pour en analyser le contenu. Il y avait là quelques morceaux de charbons, des plumes, un flacon d'encre et quelques feuilles de papier. Certaine d'entre elles étaient couverte d'écriture. Poussée par la curiosité, la jeune fille parcouru les écrits de sa récente victime. Les mots couchés sur le papier lui tirèrent un petit hoquet de surprise. Il n'y avait que peu de mots sur le sujet qui interpella Meï, mais cela la captiva immédiatement. Il était en effet question d'individus entourés d'un halo de lumière. La mercenaire ne connaissait que trop bien ce phénomène et elle désirait ardemment recevoir des réponses. Le jeune homme qu'elle avait croisé dans les bois de Diamant quelques mois auparavant, n'avait pas quitter ses pensées. Cela tournait presque à l’obsession elle recherchait tantôt à le trouver, tantôt à le fuir : désirant en réalité autant l'un que l'autre. S'attacher à cet inconnu lui faisait peur de façon aussi intense que la crainte de ne jamais le revoir. Même si Meï ne l’avouerait jamais, ces réactions aussi étonnantes soient elle n'avaient été en rien dût à une utilisation maladroite de son poison. En outre, elle n’arrivait pas à comprendre à quoi elle devait ces sensations sans nul doute inhabituelles pour elle. Le jeune homme distrait à qui appartenait ces biens le saurait peut être lui. Elle décida donc de le retrouver. Elle partit à sa recherche immédiatement et ne tarda guère à être sur ses traces. Il ne prenait aucune précautions pour ne pas être retrouvé ce qui facilita grandement la tâche de Meïlhor.
La nuit était désormais bien avancée, lorsque la jeune fille dénicha le campement de son ancienne victime.  Elle enduisit son poignard préféré d'un poison paralysant concocté par ses soins, sur une seule des faces du poignard. Cette concoction avait pour intérêt d'être efficace par simple contact cutané, d'agir plusieurs dizaine de minute et de laisser sa victime complètement immobile. Ainsi lorsqu'elle aurait fini sa discussion avec le jeune homme le tuer ne sera pas nécessaire. En outre, elle ne savait rien du jeune homme mais il n'était nullement un de ces contrats. Le tuer pourrait donc s’avérer une affaire hasardeuse car elle ignorait si un quelconque parent ne chercherait pas à venger son rejeton. Bien entendu elle se résoudrait à le neutraliser définitivement si cela était nécessaire, pour l'heure le paralyser temporairement lui semblait la meilleure option. Si Meïlhor n'avait enduite qu'une seule des faces du poignard c'était pour pouvoir utiliser la substance au moment adéquate. Elle ignorait combien de temps allait durer la discussion, mais quand celle-ci serait sur le point d'être terminé elle n'aura qu'a appliqué la face piégé de son poignard contre la peau de sa proie et elle pourrait s' enfuir en toute impunité
Elle se faufila donc dans le campement du jeune homme aussi discrètement qu'elle en était capable. Ne faisant aucun bruit elle s'approcha de l'individu endormi , elle s'accroupi près de lui et appliqua sa lame de poignard la face dépourvu de poison sur le cou du jeune homme. Cette manœuvre avait pour but de le rendre plus enclin à répondre à ces questions. Il ne fit même pas mine de se réveiller et Mëi dut lui secouer l'épaule pour le tirer des bras de Morphée. Il se réveilla quelque peu hagard et la mercenaire ne lui laissa guère le temps de reprendre ces esprits.

« Je suis la voleuse qui t'a dérobé ta sacoche un peu plus tôt dans la journée. En fouillant à l’intérieur j'ai pût constater que tu réalisais des écrits sur des individus entourés d'un halo lumineux. Je désire savoir ce que cela signifie. »

Ehvan avait récemment fait l'acquisition d'un nouvel ouvrage des plus passionnant. Le tome était épais, relié de cuir brun, et les pages jaunies qu'il contenait, non contentes d'être couvertes d'une écriture minuscule en pattes de mouche, s'avéraient d'une telle finesse que le nomade en avait  depuis longtemps perdu le compte exact. En ce qui concernait le sujet du-dit livre, il était des plus vaste. C'était en effet un véritable codex, compilant tout à la fois des poèmes, des légendes, et des observations de l'auteur lui même, et ce tournant principalement autour des mythes d'Enkidiev.
Voyageur avait fini ce livre peu de temps auparavant, le cédant enfin à la curiosité d'Ehvan. En effet, la lecture de cet ouvrage avait eu d'étranges effets sur le mentor du jeune nomade. Voyageur, une fois sa lecture achevée, avait tout simplement déclaré, voilà près de trois jours de cela :

- « Je dois de ce pas aller vérifier quelque chose. Je te laisse donc seul pour un moment. Profites en comme tu voudra, et va où bon te semble, je saurais te retrouver en temps utiles. »

Et, sans plus de manière, le matin suivant, il avait disparu. Ehvan avait l'habitude des lubies un peu folles de son mentor, surtout que depuis que le jeune homme n'était plus un petit enfant, Voyageur se permettait de plus en plus souvent de le laisser seul, et ce pour des durées plus ou moins longues. De toute façon, la tranquillité de la solitude ne déplaisait guère à Ehvan - tant qu'elle ne durait pas outre mesure -.
Ainsi le jeune nomade traînait il depuis quelque temps dans les terres de Béryl, passant le plus clair de son temps à lire. Il ne s'aventurait en ville que pour se procurer de quoi se sustenter, car il n'avait absolument pas de temps à perdre a chasser ou cueillir de quoi se remplir la panse, trop occupé qu'il était à dévorer son livre. Mais l'ouvrage semblait sans fin, et Ehvan avait beau passer la majorité de ses journées plongé au cœur de ces pages, il n'en voyait toujours pas le bout.
Ce jour là donc, le jeune homme s'était permit de faire un détour par l'un des villages qui jalonnaient sa route, ce dans le but de refaire le plein de provisions. Comme souvent lorsqu'il avait commencé un livre qui lui plaisait, Ehvan s'essayait au périlleux exercice de la lecture en marchant. Il prêtait alors une attention très limitée à ceux qui l'entourait, ne daignant dédier qu'un brin de sa concentration - toute relative - à l'itinéraire qu'il devait suivre. C'est ainsi que dans un coin reculé de sa tête, Ehvan se rendit vaguement compte qu'il manqua plusieurs fois - et de peu ! - de choir, ou de percuter des passants.
Ses commissions achevées, le jeune homme regagna bien vite la tranquillité des abords de la forêt, où il dressa un campement sommaire. Il lu jusqu'à ce que le manque de lumière et le sommeil le rattrape. Alors il s'allongea, et, roulé en boule dans sa couverture, son bras pour seul oreiller, il sombra dans un sommeil lourd et réparateur.

Quel ne fut donc pas son désarrois à se trouver réveiller, une lame sous la gorge qui plus est ! Décidément, les gens autour de lui semblaient prendre un malin plaisir à le menacer au moyen d'objets tranchants. Ehvan tâcha cependant pour l'heure de se concentrer quelque peu. Après tout, son attention était prestement demandée. Il fallut tout de même un certain temps au jeune homme pour émerger complètement des brumes du sommeil, car des bribes de son rêve s'accrochaient encore à lui, si bien qu'il avait du mal à distinguer songes et réalités. Il dut pourtant bien finir par ouvrir complètement les yeux, car une jeune femme était en train de lui parler. Et l'arme placée contre son cou invitait Ehvan à répondre aussi rapidement que possible aux paroles de la demoiselle.
Celle ci avait une allure chétive, et son visage, mangé par d’immenses yeux bleus, était couronné d'une masse de cheveux blond. Voilà bien un assaillant de curieux aloi.

- « Je suis la voleuse qui t'a dérobé ta sacoche un peu plus tôt dans la journée. En fouillant à l’intérieur, j'ai pu constater que tu réalisais des écrits sur des individus entourés d'un halo lumineux. Je désire savoir ce que cela signifie. »

- « Bonsoir... » croassa-t-il en réponse, de sa voix encore emprunte de sommeil. Puis il songea au sens des paroles de son interlocutrice. De quelle sacoche pouvait elle bien parler ? En tâtant son côté, Ehvan réalisa alors qu'en effet, la place qu'aurait dû occupé son matériel d'écriture était vide. La nouvelle ne lui fit pas grand effet, il avait de toute façon pour projet de s'offrir de meilleures plumes et d'autres encres. Mais une fois encore, le jeune homme divaguait. Il repensa alors aux conclusions qu'il avait en effet griffonné à la hâte, lorsqu'il faisait des recherches sur les âmes sœurs, suite à sa rencontre avec Kahliss, et dont parlait vraisemblablement la jeune femme lui faisant face.

- « Je suis au regret de t'annoncer que, si tu as en ta possession ma sacoche, tu as déjà dû lire toute l'étendue de mon savoir sur la question. En cherchant moi même des réponses à ce phénomène, je suis tombé sur des quantités astronomiques d'histoires ridicules, plus folles et improbables les unes que les autres. Les conclusions fiables que j'ai pu tirer de mes lectures sont à la vérité bien maigres. »

A bien y regarder, la blonde avait l'air d'avoir grand besoin de réponse, que hélas, Ehvan n'était pas en mesure de lui donner. Enfin, peut être pouvait il se contenter de faire part à la jeune femme des légendes populaires souvent liées aux mythes de personnes découvrant un beau jour un illustre inconnu nimbé de blanche lumière à leurs yeux seulement ?

- «  Ce qui revient le plus souvent dans les histoires que j'ai pu compiler est l'idée d'un destin commun pour deux êtres, et ce ourdi par les Dieux eux même. Le terme d'âmes sœurs est revenus plusieurs fois au gré de mes lectures. Cela m'a semblé être un fait assez rare, et bien trop souvent romancé. »

Ehvan n'était pas certain d'avoir pu apporter une grande aide à la jeune femme, mais au vu de la situation dans laquelle il se trouvait, et compte tenu de ses connaissances - encore trop maigres sur le sujet -, il ne pouvait guère faire mieux.

- «  Comment peut-on procéder pour rompre ce lien entre deux personnes ? » demanda la jeune femme après un instant de réflexion.

Elle semblait légèrement contrariée suite à l'exposition des maigres connaissances d'Ehvan en la matière. Celui ci ne comprenait pas bien pourquoi, mais s'abstint de provoquer davantage son interlocutrice : elle le menaçait après tout encore de la pointe de son arme. Le jeune homme remarque qu'elle avait les yeux un peu exorbités, et les pupilles légèrement dilatées, à la manière de celles d'un chat dans la nuit. Apparemment, la question des âmes sœurs lui tenait vraiment à cœur. Maintenant qu'il était un peu plus réveillé, Ehvan se demandait pourquoi il avait été attaqué aussi cavalièrement, par une inconnue qui plus est. Cette dernière disait avoir lu le contenu de la sacoche du nomade après la lui avoir dérobée. Avait-elle volé Ehvan avec cette idée en tête, où était elle tombée sur le sujet l'intéressant par hasard en examinant le fruit de son larcin ? Peu importait la raison au fond, mais le jeune homme se posa tout de même la question en son fort intérieur.
Il en revint pourtant à la nouvelle interrogation de la blonde : comment pouvait-on briser ce lien. Ehvan s'était bien sûr déjà posé la question, mais seulement par pure curiosité. La sensation d'être lié à quelqu'un qu'il ne connaissait absolument avait été pour lui une expérience plutôt agréable, bien que troublante. La jeune femme qui lui faisait actuellement face s'était elle retrouvé en mauvaise posture à cause de cette attache magique ? Car il ne faisait pas de doute qu'elle savait de quoi elle parlait. Elle avait donc dû elle aussi croiser quelqu'un nimbé d'une étrange lumière blanche.

- « De ce que je sais, ce lien est indestructible. Même la mort d'une des deux personnes en question ne libère pas l'autre de cette attache magique, car c'est bien de magie dont il est question ici. »

Ehvan craignait que la blonde n'apprécie guère la réponse, tant elle semblait décider à se défaire de ce lien. Car ce ne pouvait être que dans ce but qu'elle interrogait le nomade. Dans le regard de la jeune femme, la détermination le disputait à l'effarement. Elle était prête à tout pour atteindre son but, et apprendre qu'il n'était pas en son pouvoir de changer les choses comme elle l'entendait ne la ravirait sans doute guère.

- « Mais trouver son âme sœur est quelque chose de très rare, aussi peut on vivre sans jamais croiser cette dernière. Mais à vous entendre, là n'est pas votre cas... »

Ehvan avait parlé un peu trop vite, car la demie question lui avait échappée. La jeune femme n'aimerait assurément pas être interrogé indirectement ainsi. Et elle avait l'air redoutable. Ce qui était étonnant au vue de son petit gabarit, mais le jeune nomade savait reconnaître un danger lorsqu'il en avait un en face de lui. Il avait à sa portée quelques talismans, dont il n'hésiterait pas à faire usage au besoin, mais il espérait sincèrement pouvoir se passer de combat avec la blonde.
Il guettait donc la réaction de la jeune femme à ses propos, maintenant parfaitement sur ses gardes...

La jeune femme ne bronchait plus, et semblait perdue dans des pensées connues d'elle seule. Ehvan s'inquiéta même un instant pour elle. Un bien court instant cependant. Car, aussi rapidement qu'elle lui était tombé dessus, elle fit jouer le poignard qu'elle avait toujours en main. La sensation du contact de la lame froide sur le cou du jeune nomade était légère, mais l'effet en fut détonnant et bien désagréable pour l'organisme du jeune homme. En quelques instants, une sensation étrange se répandit en lui, courant à la surface de sa peau à une allure folle. À peine l'inquiétude de se voir égorgé traversa-t-elle l'esprit d'Ehvan, que celui ci se retrouvait paralysé. Libéré de l'étreinte de la blonde, le nomade retomba allongé, le corps comme endormi. Et pourtant il était loin de dormir. Un instant, une peur sourde s'était emparée de lui, bien vite remplacé par une inquiétude plus insidieuse. La jeune femme ne lui avait pas ôté la vie, mais elle le laissait seul et sans défense aucune, complètement paralysé. Ehvan n'avait pas pour habitude de s'apitoyer sur son sort, mais il avait rarement était en aussi mauvaise posture. Tout ce qu'il pouvait faire à l'heure actuelle étant de prié pour que le poisson, ayant eu une action aussi rapide, se dissipe vite, rendant au jeune homme l'usage de son corps. Tout le temps qu'il passa immobilisé, Ehvan pria en silence qu'aucune créature n'ai l'idée de s'approcher de son campement. Mais après un certain temps – objectivement une dizaine de minutes, qui parurent cependant bien longues au jeune nomade – il pu de nouveau se mouvoir. Au début, très légèrement, pour enfin retrouver le plein contrôle de sa personne. Une fois remit de sa paralysie, Ehvan trouva bien difficile de se rendormir, mais pas tant parce qu'il avait peur d'être à nouveau attaqué. Il réalisa qu'il ne connaissait pas le poison qu'on venait d'employer sur lui. Outre le fait indéniable que ce fut un paralysant, le nomade n'avait rien pu en déduire de plus. Une action aussi foudroyante, sur une durée aussi réduite, et n'ayant d'effet que sur la mobilité des membres – car même sous l'emprise du poison, il avait pu battre des paupières et respirer normalement – l'étonnait au plus haut point. Certes il n'était pas apothicaire, mais il avait lu de nombreux ouvrages traitant du sujet. Aussi, contre toute attente et toute forme de logique, Ehvan se mit a souhaiter recroiser un jour cette habile empoisonneuse, histoire de la questionner sur le sujet.
Il était alors bien loin de penser qu'il serait exaucé...