Fly you fools [RP Yelirann]

Ehvan était adossé à un arbre, sa tête tombant sur son épaule, comme s'il s'était assoupi. Pourtant, si son corps arborait bel et bien tout les signes du sommeil, il en allait tout autrement pour l'esprit du jeune nomade. Il n'avait eu que peu d'occasion pour s'exercer à la projection astrale ces derniers temps, aussi rattrapait il un peu du temps perdu.
Tout de même assez peu rassuré à l'idée de laisser son corps sans surveillance, Ehvan ne s'en éloigna guère trop. En outre, en prévision de la moindre attaque contre sa personne, le nomade avait dissimulé à son côté son couteau de chasse. Maigre défense certes, mais toujours mieux que rien. De toute manière, le nomade s'était installé dans un endroit tranquille, souhaitant simplement s'échapper quelques instants. Mais alors qu'il flottait dans l'air, dans un état second et moins substantiel qu'un souffle de vent, un bruit lointain ramena Ehvan à des préoccupations plus triviales. Le son se rapprochait à une vitesse modérée de son corps. Quelqu'un approchait. Quelqu'un qui ne cherchait pas le moins du monde à faire montre de discrétion. Peut être même faisait il volontairement du bruit pour rappeler le jeune homme à son point d'ancrage. Ehvan mit donc fin au sort de projection astrale pour regagner son enveloppe charnelle. Comme toujours, ce retour en lui même lui donna la sensation très étrange d'être à l'étroit dans son propre corps. Mais le malaise n'était que passager, aussi se dissipa-t-il bien vite. L'effet secondaire qui perdura davantage en revanche fut le léger mal de tête habituel induit par le sort.
Retrouvant la vue par ses yeux, Ehvan découvrit un jeune homme lui faisant face. Assis en tailleur, ce dernier avait l'air vaguement absent, mais un air ironique était plaqué sur ses traits. Le nomade du cligner plusieurs fois des yeux pour accommoder sa vision et reconnaître le nouvel arrivant. Ce dernier avait beau être aisément reconnaissable avec sa tignasse de neige, Ehvan ne s'était pas attendu à trouver Yelirann au milieu de la forêt. Certes le jeune homme avait de nombreuses manies somme toute étranges – dont apparaître soudainement en sortant de nulle part faisait indéniablement partie – mais il parvenait toujours à surprendre Ehvan.
Ces deux là se connaissaient depuis quelques années déjà, et sans doute pouvait on les qualifier d'amis. Cela étant, le nomade, connaissant sans trop l'avouer certains aspects peu reluisants de la personnalité de Yelirann, conservait pour ce dernier une part de méfiance prudente. Oh, pas au point d'être sans cesse inquiet en sa présence ni d'éviter sa compagnie, seulement, Ehvan veillait à ne jamais tourner complètement le dos à son comparse. Simple mesure de précaution.

- « Yel ! Tu me cherchais ou dois je au hasard de croiser ton chemin ? »

A la vérité, Ehvan n'était pas mécontent de se trouver nez à nez avec le maraudeur. Il savait de lui qu'il trempait la grande majorité du temps dans des affaires plus ou moins louches, aussi ne s’intéressait il que peu au travail de Yel. Cependant, sachant son goût pour les ouvrages rares, Yel faisait souvent cadeau d'écrits singuliers à Ehvan. En échange de quoi ce dernier lui racontait les histoires et rumeurs étranges qui lui parvenait au cours de ses pérégrinations. Ces échanges de bons procédés convenait aux deux parties, et une bonne entente s'y étant mêlée, ils étaient devenu ami. Une amitié aussi étrange que Yel ou Ehvan pouvaient l'être parfois, mais une amitié tout de même.

- « Comment vont tes affaires ? » le nomade ne voulait pas se mêler des-dites affaires de Yel, il savait combien ce dernier tenait à sa vie privée, mais il fallait bien commencer la conversation quelque part.

Kelen avait eut le bon goût de laisser quelques moments de répit à son apprentis, alors que lui même buvait plus que de raison dans une taverne environnante. Ainsi Yelirann put aisément partir à la découverte d'une des forêts d'Opale. La mer lui manquait et d'une certaine manière Yennefer également. L'enfant avait désormais neuf ans révolue et débordait d'énergie. Lorsque son maître le lui autorisait, il rendait visite à sa sœur ; là, se mêlait envie de la revoir et fardeau qu'elle pouvait être pour lui. S'occuper d'une enfant n'était pour le jeune homme guère une bénédiction ; pour cela il en avait confié la bonne garde à Irimée. Toutes deux ne s'en portaient que mieux.
Toutefois, la nostalgie des océans le gagnait parfois, alors il se mettait en quête d'un environnement où il se sentait à sa place ; le plus souvent une foret. Ainsi, il pouvait être ce qu'il désirait, aucune restriction ne s'imposait plus à lui. Il escaladait les arbres avec une adresse quasi animal et ne s’arrêtait que lorsqu'il tombait de fatigue. Ces moments de pur liberté était pour lui des plus revigorants. Cela lui permettait de feindre la normalité lorsqu'il n'était pas seul. Par habitude il sonda le territoire et s’aperçut avec surprise qu'il n'était pas seul. En s'approchant de l'individu, avec la discrétion qui le caractérisait, il reconnu bien vite cette présence familière : Ehvan. Ils se connaissaient depuis quelques années déjà et le croiser aux hasard de sa route était toujours une expérience agréable. De leurs entrevue, chacun en retirait un gain, Ehvan des parchemins rares et Yelirann des informations qui pouvaient souvent s'avérer utile. Le jeune vagabond était pour Yel se qui se rapprochait le plus d'un ami. Ainsi, si le besoin s 'en faisait sentir il n'hésiterait nullement à l'éliminer mais, pour l'heure, leurs échanges réciproques les satisfaisaient tout deux et de telles éventualité n'était nullement requise. La chance soit loué il avait d'ailleurs en sa possession quelque présent pour son comparse. L’apprenti assassin abandonna donc toute réticence et s'avança sans plus de prudence vers son compagnon de fortune. En outre, il faisait sciemment plus de bruit qu'a l'accoutumé pour avertir Ehvan de son approche, celui-ci étant souvent très distrait. Il le trouva adossé à un arbre, un air absent sur le visage. Sans plus de cérémonie, Yelirann s'assit en tailleur face au nomade, celui-ci se rendrait bien compte tôt ou tard de sa présence. Le jeune homme afficha un air narquois, son ami avait dissimulé à son coté un poignard. Yel avait souvent observé des ignorants penser d'Ehvan qu'il était sans défense que nenni celui-ci était bien plus redoutable, que son air de biche sans défense ne le laissait sous entendre. Le sourire du jeune garçon s'élargit, il avait soumis un jour cette comparaison à son compagnon, ce qui avait donné lieu entre eux à moult raillerie potache.
Yelirann se perdit dans la contemplation de la couleur d'un papillon posé non loin d'eux. L'animal avait de remarquable couleur orangé et des dessins étrange nimbait ces ailes. Le jeune homme y voyait des inscriptions mystique qu'un quelconque dieux y aurait dissimulé ; il y cherchait donc un sens caché lorsqu'il entendit la voit d'Ehvan résonné dans l'air ambiant.


« Yel ! Tu me cherchais ou dois je au hasard de croiser ton chemin ? » - « Comment vont tes affaires ? » 

Le hasard voilà une notion qui posait bien question au jeune homme. Le destin était il déjà tracer par avance ou tout dépendait-il des actions des individus ? La vie était elle un amas de fil qui s'entrelaçait, s’emmêler, pour enfin former un tout ? Ces questions Yelirann se les posaient régulièrement mais, n'y trouvait jamais de réponse satisfaisante. Stoppant ainsi ces tergiversations il répondit à son interlocuteur.

« Ehv ! J'ai quelques présent pour toi, qui pourrait je pense t’intéresser. J'ai trouvé des cartes anciennes du royaume d'Opale, qui me semblait-il, trouverait grâce à tes yeux.» 

Il sortis donc délicatement de sa sacoche des parchemins en état convenable malgré leur âge certain. Il les tendis à son ami avec un respect religieux. Répondre aux questions du vagabond ne lui effleurait guère l'esprit, suivant seulement le cours tumultueux de ses propres pensées. ainsi, il garda également sous silence l'origine troubles de ces écrits. Il les avaient dépouillés à une anciennes victime ayant un goût prononcer pour les cartes anciennes des régions d'Enkidiev.

Il ajouta malicieusement

« - J'ai d'autre cartographie de turquoise et de rubis datant de la même époque. Mais celle-ci tu ne les obtiendra guère de ma bonté d'âme seule. » 

Il esquissa une révérence grossière en écartant ses bras, invitant ainsi le jeune nomade à lui apporter les informations qu'il avait recueilli.

Ehvan constata que, comme très souvent, Yelirann était au moins aussi distrait que lui, si ce n'est davantage – ce qui n'était pas rien ! –. Le cas présent en était un bon exemple, car en ouvrant les yeux, le nomade avait découvert son compère fasciné par le vol laborieux d'un papillon. Certes l’insecte était magnifique, mais plus amusant encore était la façon quasi obnubilé dont l'observait Yelirann. Ce dernier fini cependant par lâcher la créature des yeux.

- « Yel ! Tu me cherchais ou dois je au hasard de croiser ton chemin ? Comment vont tes affaires ?»

Comme il s'y attendait plus ou moins – Yel ayant souvent des réactions pour le moins imprévisibles –, Ehvan ne reçu aucunes réponses à ses civilités. Yelirann n'était pas de ceux qui se pliaient à ce genre de politesse. Le jeune nomade ne l'en appréciait que davantage : ainsi, pas de perte de temps, ni de risque de faux pas.
L'interrogation sembla en revanche plonger le jeune homme dans une intense réflexion. Ehvan lui laissa le temps de cogiter, sachant trop combien il était agaçant d'être coupé lorsqu'on songeait à de grandes questions.
Soudainement, Yelirann sembla revenir à l'instant présent. Dire que ce dernier était souvent d'humeur changeante était clairement un euphémisme. Sa mine pensive le quitta brusquement, et comme si aucun laps de temps ne s'était écoulé, il enchaîna le plus naturellement du monde :

- « Ehv ! J'ai quelques présents pour toi qui pourraient, je pense, t’intéresser. J'ai trouvé des cartes anciennes du royaume d'Opale qui, me semblait-il, trouveraient grâce à tes yeux.»

En disant cela, il extirpa de sa sacoche un splendide vélin roulé avec soin. Ehvan en devinait par avance la qualité et l’authenticité, et avait déjà grand' hâte de le consulter. Le nomade se saisit de l'écrit précieux, et eut toutes les peines du monde à ne pas se jeter dessus sans plus accorder d'attention à son ami. Ehvan ne prit même pas la peine de se demander comment cet artefact rare était tombé entre les mains de Yelirann.
Le nomade se doutait bien que son ami était de trouble profession, mais, si cette idée ne le quittait jamais vraiment, elle ne l'en inquiétait pas non plus outre mesure. Ehvan se moquait bien de côtoyer un possible criminel, tant qu'aucuns torts ne lui était fait. En revanche, n'étant pas complètement dénué de bon sens, le nomade se gardait bien de parler de sa famille ou de Kahliss à Yelirann. Car si courir lui même un hypothétique danger était pour le nomade une situation acceptable, il n'était pas fou au point de faire prendre ce même risque, aussi minime soit-il, aux êtres qui lui était chers.  
Ehvan en revint à la discussion présente lorsque son compère ajouta malicieusement à son attention :

- « J'ai d'autres cartographies de Turquoise et de Rubis datant de la même époque. Mais celles-ci tu ne les obtiendra guère de ma bonté d'âme seule. »

En disant cela, et toujours assis en tailleur face au nomade, Yelirann exécuta une gracieuse révérence qui n'était pas dénuée d'humour. Ehvan sourit à la manière si peu subtilement déguisée que son ami avait de lui demander des informations. Et par « information », il savait bien que son interlocuteur attendait des rumeurs et autres bruits parvenus à sa connaissance au cours de ses aller et venues sur Enkidiev.
Le nomade fit donc part à Yelirann de ce dont il avait connaissance :

- « J'ai entendu parler, il y a un certain temps maintenant, de la préparation d'un mariage royal dans les terres de l'Ouest, sans plus de précision. Le tavernier qui me l'a apprit pestait surtout après les risques encourus, vu l'agitation des Ombres à la frontière Sud. Pour rester dans le domaine de la royauté, il paraîtrait que les mœurs sont de plus en plus légères à Rubis... » Ehvan se tut un instant, fouillant sa mémoire « Ah, la nouvelle reine d'Esprit se promènerait sans garde aucune au bras d'un homme inconnu au bataillon. J'ai aussi ouï dire qu'a la tour des mages, un Cardinal ayant abusé de boisson aurait causé un sacré tapage en faisant passer ses biens par la fenêtre. Sinon, m'est parvenue la nouvelle qu'une tempête aurait éclatée au royaume d’Émeraude, amochant sérieusement un village tout entier. »

A présent à cours d'idée, le nomade fini par se taire. Il espérait avoir transmit à son ami des nouvelles intéressantes. Ehvan n'avait pas vraiment d'idées précises quant à l'utilité de pareilles informations pour Yelirann, mais jusqu'alors, les rapports fait par le nomade avaient toujours paru satisfaire la curiosité de son comparse.

Son compte rendu effectué, Ehvan pu lire sur le visage de son comparse qu'il pesait la valeur des renseignements obtenus. Puis, aussi soudainement que de coutume, Yelirann se mit à sourire de toutes ses dents, ce qui était un peu effrayant, car très soudain. Le nomade cependant ne s'en formalisa guère, habitué qu'il était aux réactions saugrenues de son ami. En revanche, il ne pu prévoir le geste suivant de Yelirann. Après avoir remit les deux autres cartes à Ehvan, rapide et comme si c'était la chose la plus normale du monde, il tendit sa main vers la tête cuivrée de ce dernier, et en ébouriffa les cheveux. L'élan d'affection anodin avait pourtant de quoi étonner, mais Ehvan passa outre. Les nouvelles cartes en sa possession retinrent toute son attention. C'est même à peine s'il entendit Yelirann déclarer dans le même temps :

- « C'est bien Ehvan. » de la même manière que s'il félicitait un petit enfant. Quoique le ton était chantant, et Yelirann semblait à cet instant vraiment de très bonne humeur.

Toujours souriant, l'attention de Yelirann sembla néanmoins attirée brusquement par autre chose. Délaissant la coiffure maintenant tout à fait ridicule d'Ehvan, il saisit le poignet gauche de ce dernier, et l'approcha de lui. Il resta un instant à contempler la main mutilée où il manquait depuis quelques temps déjà l'annulaire. Absorbé par son observation assidue de la main d'Ehvan, Yelirann se mit a dodeliner discrètement de la tête, comme en réponse à une musique entendue de lui seul. Suivant le regard de son ami, le nomade avisa lui aussi la cicatrice ornant sa main. Il s'agissait là de la marque d'une mésaventure dont Ehvan n'avait – et de loin ! – pas gardé un très bon souvenir.

- « Il y avait quelque chose là avant... Tu t'es donc amusé sans moi ! Voilà, qui me vexerais presque. » la découverte de Yelirann ne semblait pas avoir entamée sa bonne humeur. Mais, changeant de comportement avec autant de brusquerie que de coutume, le regard du jeune homme se fit soudain plus grave quand il demanda : « Que t'es t-il arrivé, mon ami ? »

En disant cela il avait relâché sans brusquerie le bras d'Ehvan, qui, l'ayant ramené contre lui, observait maintenant sa main avec un air songeur et quelque peu perdu. Il prit tout de même le temps de formuler une réponse pour son compère, qui pour le coup semblait vraiment inquiet.

- « Je ne me souviens pas de grand chose, et n'ai donc que peu à raconter, car j'étais très certainement drogué lorsque c'est arrivé ». Et le nomade ne mentait pas complètement en disant cela.

Ses souvenirs étaient en effet très flous et pour la plupart brouillons, mais restait au jeune homme la mémoire des sentiments qui l'avaient animés alors... et c'était cela précisément qu'il n'aimait guère faire resurgir à la surface de ses pensées. Ehvan se renfrogna un court instant, mais se reprit rapidement.

- « Mais comme tu le vois, la cicatrisation est très correcte, et en toute honnêteté, la perte de ce doigt ne me gène même pas vraiment. J'imagine que c'est handicapant pour qui manie l'épée, mais ce n'est pas là quelque chose qui risque de me manquer. »

En parlant il avait élevé sa main à la hauteur de son regard, et agitait cette dernière comme pour se prouver que malgré le doigt manquant, il n'en avait pas perdu l'usage. Le nomade étant droitier, dans l'absolu ne plus pouvoir utiliser sa main gauche aurait été une épreuve surmontable, mais Ehvan tenait malgré tout à son apparence, être estropié n'était donc pas vraiment pour le ravir. Machinalement, la main du jeune homme se porta à son cou. Là, il savait qu'il trouverait la seconde trace de sa rencontre avec la femme de Rubis. Partant du bas de sa mâchoire, où elle était dissimulée par le chaume léger qui couvrait ses joues, une cicatrice, qui avait au moins le bon goût d'être fine et plutôt discrète, descendait en ligne bien droite le long du cou d'Ehvan, avant de  finir sa course aux abords de la clavicule du jeune homme. Ces deux restes de blessures ne faisaient aucunement souffrir le nomade, mais elles le gênaient néanmoins, car elles étaient les marques d'un sale quart d'heure, souvenir encore trop frais au goût du brun.

Yelirann sembla prêter une véritable attention aux propos d'Ehvan, écoutant calmement le récit de ce dernier. Lorsque le nomade eut fini de compter ses péripéties, son comparse demeura même quelques instants parfaitement immobile – ce qui était assez rare pour être souligné, et presque plus inquiétant que les réactions saugrenues qu'il pouvait avoir, comme lorsque quelques instants plus tôt, il avait ébouriffé si cavalièrement les cheveux d'Ehvan –.

Puis, avec la soudaineté qui le caractérisait si bien, Yelirann se mit à jouer avec les mèches pâles et trop longues de sa chevelure qui lui tombaient en travers de la figure. Il arrivait en effet à ce dernier d'avoir ainsi des réactions presque puériles, qui le faisaient paraître bien plus jeune qu'il ne l'était.
En réalité, il devait être à peu de chose près de la même génération qu'Ehvan. Le nomade se fit alors une réflexion sur son propre âge : a bientôt vingt ans, il en était encore à courir les bois à la manière d'un vagabond sans feu, comme il l'avait fait toute son enfance durant aux côtés de Voyageur. Il ne vivait que pour lui même, et ne se sentait de devoir nulle part, surtout pas envers l'un ou l'autre des camps belligérants qui s'affrontaient alors. Le jeune homme n'aspirait qu'à vivre en paix, comme il l'entendait. C'est à dire avec le moins de contraintes possible, et jamais trop loin de Kahliss. La jeune femme fit irruption dans ses pensées soudainement, et Ehvan ne pu s’empêcher de penser que finalement, avoir des attaches n'avait pas que des mauvais côtés...
Comme il se sentait entraîner par ses pensées, le nomade se fit violence pour se recentrer sur l'instant présent, soit en l’occurrence Yelirann.

Le nomade ne savait pas exactement de quoi vivait ce dernier: il n'avait clairement pas l'allure d'un marchant, et il s'il se disait volontiers « explorateur », armé et instruit comme il l'était, ce ne devait pas être là son seul domaine d'activité. Si Ehvan se posait bien la question du métier de son ami - à la vérité, quelle question ne se posait pas le nomade? -, il sentait bien que découvrir la réponse ne lui serait pas forcément chose favorable. Laissant donc les choses en l'état, Ehvan se contentait de profiter de la compagnie de Yelirann quand leurs chemins se croisaient.
D'humeur presque taquine, le nomade lança d'ailleurs à l'attention de son compère, qui pour sa part était toujours obnubilé par ses mèches folles :

- « J'espère vraiment que tu ne décompensera jamais ! » Ehvan était tout sourie : les frasques de Yelirann lui étaient un divertissement bienvenu, et ils s'amusaient fort à s'envoyer des piques, plus ou moins bien senties d'ailleurs.

Comme s'il avait soudain eu un éclair de génie, Yelirann laissa sa chevelure fantasque en plan pour s'approcher d'Ehvan, un mauvais sourire au visage :

- « Tu peux me le dire à moi, on ne t'a pas coupé autre chose au moins ? »

Il fallut un certain temps au nomade pour comprendre la boutade. Comme toujours, son pragmatisme légendaire le poussa a observer mains et pieds à la recherches de blessures qui lui auraient – pour une raison ou une autre – échappées jusqu'alors. Cela fait, il passa sa main sur la cicatrice de son coup : Yelirann l'avait il remarqué ? Enfin, le sourire torve de son compère révéla à Ehvan ce que la question avait de drôle. Le nomade se mit donc à rire franchement, sans doute autant de la boutade de Yelirann que de son propre temps de réflexion avant de la comprendre.

- « N'ai crainte, de ce côté là j'ai été, fort heureusement, épargné ! »

Ricanant également de sa propre plaisanterie, Yelirann fit cependant une proposition à Ehvan :

- « Si tu le désire mon ami, je pourrais t'enseigner quelques tours avec une épée. Tu es droitier il me semble, je suppose donc que ta main gauche ne devrait pas te gêner. N'ai crainte je n’abîmerais pas ton joli minois, je serais des plus doux avec toi. »

Encore hilare, le nomade se dit que ce ne pouvait pas être une mauvaise idée de se dégourdir un peu en croisant le fer avec Yelirann. Leurs niveaux n'étaient en rien comparables, et si Ehvan avait dû apprendre à se défendre – vivre en pleine nature n'était certes pas sans danger – il était bien loin d'être devenu un maître en la matière, et il savait son compère meilleur bretteur que lui. Le nomade avait une manière plus calme – et assurément plus sournoise – d'affronter ses ennemis : grâce à ses talismans et à l'enseignement de Voyageur, Ehvan savait poser des pièges sommes toute efficaces pour affaiblir ses adversaires avant de les combattre de front. Le nomade était donc loin d'être sans défense, mais sa magie n'avait pas grand chose d’offensif, il devait en général faire davantage preuve de ruse pour gagner.

Sautant sur ses pieds, Ehvan se sentait pour aujourd'hui l'âme d'un guerrier. Mais surtout, le jeune homme ne manquait jamais l'occasion de suivre un enseignement nouveau. Avisant non loin de solides branchages tombés à terre, le nomade s'en empara pour en ôter les feuilles mortes. Ces épées de fortune suffiraient très largement pour quelques passes avec Yelirann.

- « Et bien en garde Yel ! Je tacherais de ne pas me montrer trop rude avec toi ! » Très fier de son trait d'ironie, le nomade se tint aussi prêt que possible pour l'affrontement...

Ehvan n'avait donc guère été privé de sa virilité et c'était hilare qu'il avait accepté la proposition d'enseignement de son compère. Après tout, le nomade ne refuserait probablement jamais l’acquisition d'un nouveau savoir. C'est d'ailleurs avec un certain empressement que le vagabond parti en quête d'épée de fortune. Il dénicha deux branchage solide qui suffirait amplement pour que Yelirann lui apprenne les rudiments de cet art. Si le brun s'en sortait suffisamment bien aujourd'hui, le prochain présent de l'apprenti assassin à son comparse serait éventuellement une arme plus efficace qu'un morceau de bois. Une épée à une main lui siérait probablement à la perfection. Il n'avait vraisemblablement pas une force physique démesurée mais Ehvan paraissait rapide. Une arme légère et fine était pensait l'assassin, ce qui lui fallait. A dire vrai, c'était lui même là ou allait sa préférence. L'épée qu'il avait au côté correspondrait à son ami, peut être la lui donnerait-il si il se montrait bon élève. Des armes, l'argenté en avait une collection des plus conséquentes et celle ci de bonne facture, mais des plus banales, ne lui ferait nullement défaut.

Sitôt Ehvan en garde, son professeur d'un jour vint rectifier sa posture. Le nomade n'avait jamais reçu d'enseignement sur le maniement de l'épée à proprement parler. Il savait se servir de son  couteau de chasse, mais n'avait pour les armes blanches qu'un talent très commun, induit par la nécessité de sa vie quotidienne. Voyageur avait bien tenté de lui apprendre quelques tours surprenants, mais là encore, rien de bien extraordinaire. Ehvan était plus à son aise à distance respectable de ses ennemis : avec un arc entre les mains, le jeune homme se défendait déjà bien mieux. Mais le nomade savait l'avis de son compère à ce sujet : pour lui, les arcs étaient armes de pleutre. Cette divergence de point de vue les amusaient beaucoup, et était le sujet de bon nombre de boutade entre eux deux.
Pour en revenir à la somme des connaissances d'Ehvan en matière d'escrime, on pouvait les résumer grossièrement par : tenir l'épée par le manche, soit la partie en bois, et frapper les assaillants avec la lame, soit la partie coupante. Rudimentaires donc. Ô, naturellement le nomade en savait bien davantage sur le sujet, mais entre la théorie et la pratique, tout lecteur compulsif qu'il soit, il y avait un monde.
Ainsi, lorsque Yelirann employa des termes d'escrimes quelque peu techniques, le nomade fut il très à son aise. En revanche, lorsque ce dernier dû attaquer, il se montra plus maladroit.

- « Pour le moment je te propose de m'attaquer, ainsi je pourrais parer tes attaques et t'apprendre tout mon savoir. »

Ehvan était certes quelqu'un de fier, mais pas au point de se laisser envahir par ce sentiment lorsque son ami esquiva son premier assaut avec une facilité presque insultante. Le nomade eut un soupir proche du feulement : il n'aimait pas l'échec. Mais du chat il avait aussi la patience, aussi se remit il en garde comme le lui avait montré Yelirann quelques instants plus tôt afin de lancer une nouvelle offensive. Le résultat fut peu ou prou le même, mais le nomade était coriace et comme toujours avide de savoir. Confronté aux limites de ses connaissances, Ehvan n'avait de cesse de vouloir les combler. Sans doute y avait il là chez lui un fond de prétention, mais bien plus sûrement une curiosité quasi maladive.
Suite à une énième attaque, Yelirann dû lever son bâton pour dévier celui d'Ehvan. Ce maigre progrès tira un large sourire au jeune homme.

- « Oh ciel, l'élève est en chemin pour rattraper le Maître ! »

Le nomade pratiquait souvent l'auto-dérision - avec plus ou moins de succès - et en était surtout grand amateur.
Ayant alors dans l'idée de jouer le jeu de Yelirann - soit celui de l'inventivité farfelue -, Ehvan improvisa une révérence digne des frasques de son ami, puis, il se releva vivement pour attaquer subitement son professeur improvisé.

- « C'était un piège ! »

Ehvan du bien admettre en lui même que sans doute son hurlement triomphal amoindrit-il le fameux effet de surprise si ardemment recherché.

- « Il n'est pas donné à tout le monde de paraître fou, laisse donc cela aux professionnels. »

En matière de folie, il était certain que jamais le nomade ne surpasserait Yelirann, quand bien même l'eut-il souhaité. On traitait parfois les gens de fous bien attentivement : un homme faisant des rêves plus grands que lui, un ermite vivant reculé au milieu des bois, un visionnaire voulant révolutionner le monde... Ehvan lui même s'était déjà vu taxé de ce qualificatif fort peu élégant. Yelirann lui jouait clairement dans une toute autre catégorie...
La répartie de ce dernier n'en manquait pourtant pas moins d'humour : l'argenté était certes un étrange personnage, mais au moins en avait il pleinement conscience.

- « Après avoir tenter de m'apprendre l'escrime, prétends tu aussi vouloir m'enseigner l'art respectable de la folie et des cabrioles ? »

Alors que le nomade se trouvait encore une fois très drôle et spirituel, Yelirann s'éloigna de son acolyte de façon somme toute acrobatique, faisant montre de tout son talent pour les pirouettes les plus élaborés. Sans doute dans une autre vie avait il occupé le poste de bouffon du roi dans une cours lointaine... Avec ses cheveux pâles, Ehvan imaginait aisément son ami dans une livrée noire et blanche, distrayant des nobliaux à coup de sauts périlleux et de répliques cinglantes.
Alors que le nomade souriait à ses propres songes, l'argenté sut tirer profit de la distraction de son élève. D'un geste si fluide qu'il trahissait une maîtrise plus que régulière, Yelirann, faisant pour l'occasion de la maigre branche d'arbre qu'il avait en main un véritable dard, fit volter son arme de fortune droit sur le cœur d'Ehvan. Ce dernier fut ramené à la réalité par ce geste brusque : s'il avait eu une vraie lame dans la main en lieu et place d'un branchage sec, le professeur d'un jour aurait fait mouche.
La mine quelque peu ahurie du nomade face à cette déconfiture si prompte arracha un grand éclat de rire à Yelirann. L'amusement de ce dernier étant des plus contagieux, Ehvan fut bientôt à nouveau hilare lui aussi.
Suite à cela, les boutades allèrent bon train alors que les deux compères continuaient à échanger encore quelques coups d'estocs. Mais il devint bientôt évident que l'exercice n'amusait plus guère l'argenté, qui s'abîma aussi promptement qu'à l'ordinaire dans la contemplation d'un soleil largement dissimulé par des nuages bas. Le temps aurait pu paraître morose, ou à tout le moins quelconque, mais Yelirann semblait y découvrir un somptueux spectacle. Ehvan profita du désintéressement de son acolyte pour s'asseoir à même le sol, délaissant lui aussi son excalibur d'un jour.
Quand bien même il s'était agit seulement d'un entraînement, le nomade devait s'avouer essoufflé. Où donc était passé son endurance d'autrefois, lorsqu'enfant, il pouvait courir toute la journée durant, escaladant, traversant des cours d'eau et des buissons ? Déplorant sa piètre condition physique, le jeune homme se promit d'y remédier au plus tôt.
Ils finirent ainsi cette étrange séance d'exercice : adossés à des arbres, admirant les volutes des nuages dans le ciel. Ce n'était à vrai dire pas une conclusion si décousue que cela, Yelirann étant capable de bien davantage d'extravagance. Ce dernier fini pourtant par s'en aller, le nez en l'air, comme pour ne pas rompre sa contemplation du ciel. Il adressa tout de même un vague signe de la main à l'intention d'Ehvan.
Le nomade monta son campement pour le nuit à deux pas de la clairière où il avait passé la matinée à faire des passes d'arme avec son compère. Il n'était pas encore temps de dormir, mais le jeune homme avait de nouvelles cartes en sa possession, et il avait grand hâte d'en percer les mystères...